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même à dire que les autres incendies avaient pu être allumés par hasard. Larroi fit un geste d’incrédulité.

— Et mes foins ? reprit-il, et le mazot de Jérôme ? c’est-il aussi le hasard qui y a mis le feu ?

— Ce peut être au moins l’imprudence, fit observer Marthe ; quand on promène la flamme sans mauvaise intention, on peut semer l’incendie ; voyez plutôt là-bas !

Elle montrait une troupe de boubes qui descendaient la montagne en agitant des alouilles dont les flammèches se dispersaient au loin, emportées par le vent ; on voyait les étincelles tomber en pluie enflammée le long des prairies, tourbillonner autour des toits et pétiller sur le feuillage des sapins. Les paysans ne purent retenir une exclamation.

— Par ma foi, voilà les vrais bouteurs de feu ! s’écria François.

— La Bernoise a raison ! s’écrièrent plusieurs voix. Ce sont les alouilles qui brûlent nos fourrages !

— Et nos mazots !

— Il faut les faire éteindre !

— Vite, en route !

Chacun chercha son fusil. La troupe se divisa en plusieurs bandes, et, sans plus de retard, se dispersa dans les sentiers de la montagne, tandis que Barmou retournait à la fénière incendiée.

Il redressa l’échelle au milieu de la fumée et des flammes malgré les observations de François, et recommença d’abattre à coups de hache les poutres brûlantes qui tremblaient. La Lise, épouvantée en le voyant entouré de débris qui croulaient l’un après l’autre, l’avertit vainement du péril : il ne voulut rien entendre. Sa colère avait besoin de s’exercer sur quelque chose, et il se remit à frapper. François, qui avait d’abord voulu lui prêter la main, redescendit en criant qu’il allait se faire écraser ; mais Barmou lui répondit par une imprécation et redoubla ses coups avec une sorte de rage. Il continua quelque temps ainsi, faisant pleuvoir autour de lui les éclats enflammés de la charpente ; enfin celle-ci, ébranlée de toutes parts, fit entendre un craquement sourd, et, s’abîmant tout entière, entraîna dans sa chute l’échelle sur laquelle se tenait le propriétaire des Morneux.


V

Restée à l’écart et dans l’obscurité avec Aloïsius, Marthe se jeta dans ses bras. Elle venait de traverser des émotions trop fortes ; son courage était à bout. Elle demeura quelques instans sanglotante sur