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et les grains dont ils avaient besoin pour leurs semailles. Une fois établis dans le territoire d’Utah, ou, comme ils l’appellent, dans celui de Déséret, sans rivaux, sans voisins, unis par la nécessité de vivre, éclairés par l’expérience de longues souffrances, les Mormons se soumirent à une organisation qui en fil bientôt, non plus une secte, mais une nation.


IV

La société mormonienne est en grande partie modelée sur l’ancien peuple d’Israël : les sectaires ont emprunté à la Bible, à l’Ancien Testament leurs notions théologiques et leurs doctrines politiques. Peuple de Dieu, ils se croient gouvernés par Dieu directement, et se le donnent comme chef immédiat ; dès lors ils ont été entrâmes, à l’instar des Hébreux, mais plus encore qu’eux, à se représenter Dieu comme un roi tout humain qui a nos passions, nos idées et même notre figure. Joseph Smith, dans un de ses écrits, nous dit que Dieu est une intelligence matérielle organisée, qui possède un corps et des parties ; il a, selon lui, la forme humaine, et appartient en réalité à notre espèce, quoique infiniment supérieur à nous en perfection ; de là la négation de ce que l’on appelle l’ubiquité de la Divinité. Jéhova n’est pas à la fois présent partout : c’est là une vieille erreur qui date des premiers temps du Christianisme. Saint Épiphane a parlé de certains hérétiques qui soutenaient que Dieu avait une figure humaine d’après laquelle l’homme avait été créé, et ce qu’il y a de particulier, c’est que ces anthropomorphistes conservaient aussi, comme les Mormons, beaucoup des prescriptions Juives, s’inspirant exclusivement, ainsi qu’eux, de la lettre matérielle de l’Ancien Testament.

La constitution mormonique repose sur le code qui a pour titre : Le Livre de la Doctrine et des Alliances de l’église de Jésus-Christ, des Saints du dernier jour (the Booh of Doctrine and Covenants), seconde composition de J. Smith, sorte de Coran qui lui fut, comme à Mahomet, révélé par un ange. Si Smith n’a pas été aidé dans la rédaction de ce second ouvrage par Orson Pratt, il avait certainement beaucoup gagné comme écrivain depuis sa traduction des lames d’or. Les Mormons sont actuellement gouvernés par un prophète ou président qui est le représentant de Jésus-Christ sur la terre, un véritable pape. Les Irvingiens, les saints-simoniens, ont aussi eu le leur. L’autocratie est, comme on le voit, la forme primitive de presque toutes les religions. Au-dessous du prophète sont douze apôtres, puis un conseil dit des soixante-dix, et un certain nombre d’anciens, de prêtres, d’enseignans et de diacres. C’est l’apôtre qui ordonne les différens membres de cette hiérarchie sacerdotale ; il administre le pain et le vin, qui sont les emblèmes de la chair et du sang du christ ; il confirme ceux qui ont été baptisés, en leur donnant par l’imposition des mains le second baptême, celui du feu et du Saint-Esprit ; il préside les assemblées, et en son absence est remplacé par les anciens. Le prêtre prêche, enseigne, explique, exhorte ; au défaut de l’apôtre, il administre le baptême et le sacrement ; il visite les membres de l’église dans leur demeure, se mêle à leurs prières qu’il dirige au besoin, et peut aussi ordonner des prêtres, des enseignans et des diacres. L’enseignant assiste le prêtre ; il prêche la parole sainte, mais ne peut ni baptiser, ni donner l’eucharistie. Les anciens