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inspirer une énergie qu’il savait allier avec la résignation et la douceur. « Je vais, dit-il à ses frères de Nauvoo, en les quittant pour se rendre à Carthage, comme un agneau à la boucherie ; mais je suis calme comme un matin d’été, j’ai conscience de n’avoir offensé personne, et je mourrai innocent. » J. Smith n’avait qu’un trop juste pressentiment de ce qui l’attendait à Carthage, en dépit des garanties données par le gouverneur. À peine fut-il écroué dans la prison de cette ville avec Hyrum, son frère, que la populace, n’attendant pas l’issue du procès dirigé contre lui, fit retentir les rues de menaces et de cris de vengeance. La milice, au lieu de maintenir l’ordre, fit cause commune avec les agitateurs. Les Mormons, naturellement fort inquiets sur le sort de leurs apôtres, exigèrent qu’une garde fut placée à la prison. Le matin du 16 juin 1844, le gouverneur était venu visiter les détenus et les avait assurés de sa protection contre les violences dont ils étaient incessamment menacés. Bientôt le bruit se répandit dans la ville qu’on voulait acquitter les Mormons et que le gouverneur était de connivence avec eux. Une bande de misérables s’écria que, puisque la loi ne pouvait pas les atteindre, ce serait la poudre et les balles qui s’en chargeraient. Le lendemain, à sept heures du soir, une troupe d’environ deux cents hommes, qui s’étaient noirci le visage afin de n’être pas reconnus, força l’entrée de la prison et pénétra dans la chambre où se trouvaient ceux à qui ils en voulaient. Les Smith étaient alors en consultation avec deux de leurs amis. Les furieux tirèrent. Hyrum tomba le premier en s’écriant : « Je suis un homme mort. » Joseph essaya de sauter par la fenêtre, mais il fut atteint avant d’y réussir, et expira en prononçant ces mots : « Seigneur ! mon Dieu ! » Enfin l’un des deux autres Mormons, John Taylor, fut grièvement blessé, mais il guérit heureusement de ses blessures.

Ce guet-apens produisit un effet déplorable : il consterna tous ceux qui, opposés à la doctrine des Mormons, blâmaient cependant toute violence exercée à leur égard ; il fit de Joseph Smith un martyr, et tous les détracteurs se turent devant son cadavre ; l’enthousiasme, le fanatisme de la nouvelle église n’en gagnèrent que plus de terrain. Mille légendes commencèrent à circuler sur le compte du prophète. Comme ses assassins n’avaient pas été découverts, que son corps n’avait point été d’abord retrouvé, l’imagination des sectaires se donna libre carrière. On compara Smith à Moïse et à Jésus-Christ, dont le corps avait de même disparu. Les Mormons réunirent leur légion et se tinrent en armes, tant pour leur défense (car ils ignoraient à quelle autre extrémité on pouvait se porter contre eux) que pour assister aux funérailles des deux martyrs. Ces funérailles furent célébrées avec la plus grande pompe, et furent conduites par le plus jeune frère du prophète, Samuel H. Smith, qui ne survécut que peu de semaines à la mort de ses aînés. Le gouverneur Ford redoutait la vengeance des Mormons : il chercha à les calmer par une adresse où il laissait cependant entendre qu’il repousserait avec énergie toute agression de leur part ; mais, loin de songer à des représailles, les Mormons témoignèrent les dispositions les plus pacifiques, ils consentirent même à rendre leurs armes à la condition qu’on opérerait le désarmement de leurs adversaires, et protestèrent de leur soumission aux lois.

La secte, en perdant son chef, allait passer par une nouvelle crise. Les fidèles