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presque tous s’accordent à faire de la nouvelle Jérusalem une société civile et religieuse en progrès notable sur la nôtre. La misère y sera abolie, et la concorde la plus parfaite régnera entre tous les citoyens ; il n’y aura plus de vices, car les vices ne trouveront plus ni mobiles ni complices[1]. Ces croyances christiano-socialistes ont pris tellement faveur, qu’on les trouve rattachées, par certains spiritualistes, à leurs étranges idées sur les manifestations des esprits ici-bas. Le spiritualisme, sorti des jongleries ou des hallucinations de la famille Fox, tend à se constituer en religion, et voilà pourquoi il s’efforce de s’approprier les opinions aujourd’hui en crédit, et de les convertir en articles de son symbole.

Le journal socialiste des États-Unis, rédigé par les amis de M. Considérant, montre une prédilection marquée pour la doctrine des spiritualistes, — la secte à laquelle nous devons la danse des tables. À Mountain-Cor, en Virginie, où les spiritualistes ont pour chef un certain personnage qui se prétend inspiré par saint Paul, ils travaillent activement à la rédaction d’un nouveau Peutateuque, que les esprits de l’autre monde leur dictent en cognant sur des tables ou même en leur parlant à l’oreille, il paraît que ce Peutateuque sera l’exposé de doctrines socialistes empruntées à Saint-Simon, à Auguste Comte et à Fourier. La banque de M. Proudhon, dont la chute s’est si peu fait attendre, a été reprise avec avantage par les mêmes spiritualistes à Chicago, dans l’Illinois. Au lieu d’un conseil d’administration composé de notables de l’opinion radicale, c’est un comité mi-partie de vivans et de morts. Les morts sont les âmes, qui manifestent leur présence par des bruits et des coups (rappings, knockings), et qui s’occupent encore dans l’autre vie d’affaires commerciales. Les âmes des anciens Scandinaves se livraient dans le ciel à des chasses et à des combats ; le paradis des Américains ne pouvait être qu’une bourse ou une banque !

On voit maintenant par quelle gradation s’est opéré le développement du protestantisme mystique. Parti de l’Apocalypse, il donne l’éveil aux théories de Svedenborg. Pénétrant aux États-Unis, il y crée les sectes millénaires et spiritualistes. Il en vient enfin à s’allier avec le socialisme ! Que peut-il sortir de cette union ? C’est l’histoire des Irvingiens et des Mormons qui va nous répondre.


II

Il y a déjà plus de vingt ans que certains ministres écossais annoncèrent une rénovation complète de l’église du Christ, et prédirent que le temps n’était pas éloigné où l’Esprit saint enverrait de nouveau ses dons aux fidèles. L’idée d’une restauration du christianisme primitif était liée pour eux à celle de rapproche de la fin du monde. Durant les derniers mois de 1827, on fit circuler dans la Grande-Bretagne un écrit soi-disant émané des douze apôtres du Saint-Esprit, et qui était adressé à tous les patriarches, archevêques, évêques et autorités quelconques de l’ordre spirituel, aussi bien qu’aux empereurs,

  1. Un des plus célèbres millénaires, Towers, dans son Illustration des Prophéties, publiée en 1796, est un de ceux qui ont poussé le plus loin ces idées. On dirait, en parcourant son livre, avoir sous les yeux la Théorie des Quatre Mouvemens.