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ne pouvons trouver injuste le jugement porté contre Bolingbroke par l’Angleterre et confirmé par l’histoire.

Enfin, sous un dernier point de vue, le procès d’Oxford et de Bolingbroke est un acte mémorable, et qui marque une date dans l’histoire constitutionnelle de la Grande-Bretagne. Auparavant, sans doute, l’idée de la responsabilité ministérielle était connue. Il est impossible que des ministres siègent dans les assemblées sans qu’une certaine approbation de leurs collègues, même une certaine influence sur les délibérations, leur soit nécessaire pour exercer d’une manière facile et durable l’autorité qui leur est confiée, et de là l’obligation d’être toujours prêts à justifier leur politique et leurs actes. En cela consiste la vraie responsabilité, la plus usuelle, la plus pratique responsabilité. Cependant le principe n’en est peut-être définitivement établi que par ses applications juridiques. Or, antérieurement à 1715, on avait bien accusé et poursuivi des ministres, mais c’était lorsque l’opinion ou la passion les supposait coupables d’une action personnelle, d’une participation directe aux volontés royales que l’on n’osait ou ne pouvait attaquer. Cette distinction, et quelquefois ce subterfuge, était plutôt un expédient du mécontentement, de l’inimitié, ou, si l’on veut, de la justice nationale, qu’une règle posée, et, comme on dit, une fiction légale. La volonté du prince, son ordre exprès, demeurant une excuse qu’on pouvait alléguer, tout au moins une circonstance atténuante, et particulièrement en ce qui touche la guerre et la paix, il restait une certaine obscurité sur l’étendue et le caractère de la prérogative royale. Aucun précédent n’avait encore décidé en principe que les limites de la prérogative et de la responsabilité étaient les mêmes, et que tout ce que le roi voulait, les ministres l’avaient conseillé. Les accusations, assez mal inspirées d’ailleurs, que la paix de Ryswick avait attirées aux ministres de Guillaume III supposaient bien ce principe admis, si elles ne le consacraient pas formellement, mais d’ailleurs elles avaient échoué. Les poursuites dirigées contre les auteurs du traité d’Utrecht ont établi d’une manière irrévocable que le droit de paix et de guerre, selon qu’il en est bien ou mal usé, tombe sous le contrôle, tant moral que juridique, du parlement. Et ainsi se trouve confirmé et réglé ce que disait Torcy avec un certain étonnement : « La vue de l’avenir doit toujours être présente dans un pays sujet aux révolutions. La nation anglaise se persuade qu’elle ne doit point imputer à ses rois ce qu’elle regarde comme fautes essentielles dans le gouvernement, mais qu’elles sont uniquement l’effet des mauvais conseils ; que ceux qui les ont donnés sont les seuls coupables ; qu’ils doivent par conséquent porter la peine due à leur malversation. »


CHARLES DE REMUSAT.