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je ne puis deviner pour quelle raison l’affaire tarde autant, à moins que ce ne soit pour gagner quelques lords qui tiennent fort au Dragon, et d’autres qui ont de l’aversion pour le Capitaine (Bolingbroke). Le duc de Shrewsbury se déclare contre lui dans ses conversations particulières. C’est, je suppose, contre tout ministre principal, car on sait qu’il n’a pas de tendresse pour le Colonel (Oxford). »

De Lewis à Swift, 22 juillet. — « Vendredi dernier, le lord chancelier est allé à la campagne avec le dessein d’y rester jusqu’au 10 août ; mais mardi il a été rappelé par un exprès de lord Bolingbroke. Mardi prochain, la reine va à Windsor. Les changemens quelconques que nous devons avoir paraîtront probablement avant son départ. »

De Charles Ford à Swift, 22 juillet. — « La reine va à Windsor mardi prochain, et l’on s’attend que tout sera réglé auparavant… Les amis du Capitaine se croient sûrs de leur affaire, et ceux du Colonel sont tellement du même avis, qu’ils ne boivent à sa santé que pendant qu’il est encore en vie. Cependant on pense qu’il tombera fort doucement, avec une pension de 4,000 livres sterling par an et un duché. La plupart des tories français sont contens du changement, et les capricieux (tories hanovriens) prétendent aujourd’hui que tout leur mécontentement venait de ce qu’on favorisait trop les whigs ! Bref, nous nous promettons de très heureux jours tant que le règne durera, et si l’incertaine craintive nature (la reine) ne vient pas nous désappointer, nous avons une très belle perspective. Le Dragon et son antagoniste se rencontrent chaque jour dans le cabinet ; ils mangent souvent et boivent et se promènent ensemble, comme s’il n’y avait aucun désaccord, et quand ils se quittent, j’entends qu’ils se donnent des noms tels que d’autres que des ministres d’état ne pourraient l’endurer sans se couper la gorge. »

24 juillet. – « Nous nous attendions que la grande affaire se serait faite hier, et maintenant tout le monde s’accorde à dire que c’est pour ce soir. »

D’Arbuthnot à Swift, 24 juillet. — « La chute du Dragon ne provient pas entièrement de son ancien ami, mais de l’auguste personne que j’ai reconnue à quelques petits signes pour profondément offensée. En tout, le Dragon a été si mal traité, et il lui faudrait servir à de telles conditions dans l’avenir, s’il devait servir encore, que je jure bien que je ne conseillerais pas à un Turc, à un Juif, à un païen d’accepter situation pareille. »

De Lewis à Swift, 27 juillet. — « Vous jugez bien : ce n’est pas d’être mis dehors, c’est la manière qui m’enrage. La reine a dit à tous les lords ses raisons pour se séparer de lui, savoir qu’il négligeait toutes les affaires, qu’il était rarement compréhensible, que, lorsqu’il exposait ses idées, elle ne pouvait se fier à la vérité de ce qu’il disait, qu’il ne s’était jamais rendu auprès d’elle à l’heure convenue, qu’il était venu souvent ivre, que dernièrement, pour couronner tout, il s’était conduit envers elle avec de mauvaises manières, inconvenance, manque de respect. Pudet haec opprobria nobis, etc.- Je suis hors de moi, quand je pense à tout cela et à l’orgueil du vainqueur. »

Du comte d’Oxford à Swift, 27 juillet. — « Si je disais à mon cher ami quel prix je mets à son amitié si peu méritée, j’aurais l’air de me délier de lui et de moi-même. Quoique je n’aie plus eu d’autorité depuis le 25 juillet 1713[1],

  1. Ce jour-là, Oxford, malade, avait adressé par écrit à Bolingbroke son plan d’administration, qui n’avait jamais été exécuté.