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presque quotidiennes dont nous donnerons pour tout récit des extraits textuels.

Du docteur Arbuthnot au docteur Swift, Kensington, 26 juin, v. s., 1714. — « j’ai tâché avec grand soin de vivre dans l’ignorance ; mais je voulais en même temps jouir du Jardin de Kensington, et là toi ou tel mécontent affairé vient se mettre en travers de mon chemin, me commence quelque histoire fâcheuse, et avant d’aller souper, j’ai la tête aussi troublée de soucis que si j’étais l’homme le plus au courant. Je vous donnerai un peu votre part d’ennui en vous disant que le Dragon[1] est dur à mourir. Il donne maintenant des coups de pied et des coups de poing autour de lui comme un beau diable. Vous savez que le manège parlementaire est son fort ; mais point d’espérances d’arrangement entre les deux champions. Le Dragon a dit hier soir à lady Masham et à moi qu’il avait beaucoup de peine à empêcher ses amis, qui sont très nombreux, de tout mettre en pièces. »

De Barber (imprimeur de Swift), 6 juillet. « J’ai, par grand bonheur, trouvé lord Bolingbroke hier ; je venais de recevoir votre lettre à la minute. Je l’ai attaqué pour le vin, et il a sur-le-champ commandé pour vous deux douzaines de bouteilles de vin rouge de France et une douzaine de vin blanc d’Aaziana sec… Mylord m’a chargé de vous dire ce matin qu’il vous écrira, et de vous informer, grand philosophe que vous êtes, que vous avez gagné le point, que les affaires publiques sont menées avec le même zèle et la même expéditive célérité qu’au temps où vous étiez ici, même qu’il y a eu progrès sous quelques rapports, que la même bonne intelligence continue, qu’il espère que le monde profitera de votre retraite, que jamais on n’eut plus qu’aujourd’hui besoin de votre inimitable plume, et d’autres choses que je ne me rappelle pas. »

D’Érasme Lewis (secrétaire de lord Dartmouth), 6 juillet. — « Les deux ladies (Somerset et Masham) paraissent avoir résolu la chute du Dragon et nourrir la chimérique pensée qu’il n’y aura pas de monsieur le premier, mais que tout le pouvoir résidera dans l’une et profitera à l’autre. L’homme de Mercure[2] les berce de cette pensée avec beaucoup d’adresse et de raison, car il sera naturellement monsieur le premier en vertu du petit sceau. Il a une trop mauvaise réputation pour être le grand porte-enseigne, il prend donc un autre moyen, et je crois un très habile : c’est de garder sa position actuelle, à laquelle le pouvoir peut être attaché tout entier aussi convenablement qu’à la baguette… Mercurialis se plaint de ce que le Dragon l’a traité d’une manière sauvage ; il l’accuse d’être avec les démocrates et de ne l’avoir pas obligé dans la moindre chose depuis qu’il a la baguette. Le temps nous éclairera[3]. »

De Charles Ford (ami de Swift), 6 juillet. — « Le Colonel (Oxford) et ses amis tiennent la partie pour perdue, et je crois que la semaine prochaine nous verrons lord Bolingbroke à la tête des affaires. L’évêque de Rochester aura

  1. Sobriquet demi-ironique donné dans la société de Swift à lord Oxford, à la fois parce qu’il était très doux de caractère, et qu’il était chargé de la garde du trésor.
  2. Ou Mercurialis, surnom de Bolingbroke à cause de son éloquence.
  3. En français.