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pensée ; on ne le croyait pas, on avait contre lui d’anciens griefs : on trouvait au moins sa ruse irrespectueuse ou dangereuse. « Moi, jacobite ! s’écriait-il ; il serait aussi aisé de me prouver que je suis mahométan. » Lord Oxford, qui pouvait reconnaître dans un auteur pris à son propre piège l’inconvénient d’avoir plusieurs langages, vint en aide à De Foe, essaya sans succès d’arrêter la poursuite en déclarant le délit imaginaire, et reconnut bientôt que le seul moyen de le sauver était de lui faire grâce. Les lettres de pardon, délivrées sous le contre-seing de Bolingbroke, enregistrèrent l’acte de soumission de l’impétrant, reconnurent que ses paroles avaient déçu ses intentions, et que c’était ironiquement qu’il avait dit que le prétendant octroierait à ses sujets le privilège de porter des sabots et les délivrerait de la peine d’élire des parlemens.

Un débat plus sérieux par ses conséquences s’était élevé entre Steele et Swift. Il n’y avait plus trace entre eux de leur ancienne liaison. Ces deux esprits de genres fort différens, mais acres et violens, se combattaient à outrance. Steele, qui au Tattler avait fait succéder un recueil analogue The Guardian (12 mars 1713, v. s.), se plaignait dans le numéro 128 des retards apportés à la démolition de Dunkerque (7 août), et comme ce sujet était de ceux qui excitaient le plus les ombrages populaires, étant sur le point de se porter candidat aux élections de Stockbridge, il soutint son journal par une brochure intitulée : Considérations sur l’importance de Dunkerque. Swift répondit par ses Considérations sur l’importance du Guardian. Déjà attaqué dans ce recueil, il avait des ressentimens à satisfaire. Absent depuis quelques mois par lassitude des divisions ministérielles, rappelé par les deux rivaux qu’il s’efforçait de réunir et de sauver, inquiet et irrité, il épancha toute sa bile dans deux ou trois publications, et en blessant Steele, qui répliqua rudement, il attaqua tout le parti qui le soutenait. Élu membre du parlement, Steele avait renoncé à cet emploi dans l’administration du timbre que Swift prétendait lui avoir fait conserver, et, sous l’inspiration de ses amis, il avait publié un pamphlet intitulé la Crise. C’étaient des réflexions sur la vacance éventuelle du trône. L’ouvrage avait été revu par Addison. Une réponse très vive avait paru, écrite par Swift sous les yeux de Bolingbroke : l’Esprit public des Whigs. Comme elle contenait quelque passage offensant pour des pairs écossais, lord Wharton, si souvent victime des traits envenimés de l’implacable écrivain, lord Wharton, toujours prompt et hardi aux motions provocantes, dénonça au début de la session le pamphlet de Swift. Le lord trésorier répondit sans hésiter qu’il détestait l’ouvrage et en ignorait l’auteur, puis il écrivit à Swift un billet d’une écriture contrefaite pour le charger de remettre à l’auteur ou à l’éditeur menacé de poursuites