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de faire fête à l’homme qui fixait tous les yeux. Il soupa chez le duc de Noailles, neveu de Mme de Maintenon, avec tout ce qu’il y avait de plus considérable, et le 24 août, il prit congé du roi, qui lui fit présent d’un diamant d’une valeur de cent mille francs.

Dans le cabinet du roi, il fut convenu que l’Angleterre paierait, à titre de douaire, une somme annuelle de soixante mille livres sterling à la veuve de Jacques II, et que son fils, désigné désormais sous le nom de chevalier de Saint-George, sortirait de France. Dès le mois de juin, on avait annoncé qu’il se rendrait en Lorraine. Cependant il était encore venu au mois d’août à Fontainebleau, et n’en partit qu’à la nouvelle du débarquement de Bolingbroke à Calais. Il dû alors quitter la petite cour de Saint-Germain et se retirer incognito au château de Livry, ce qui ne l’empêcha point d’aller à l’Opéra, dans une loge du roi destinée à Bolingbroke. Quand celui-ci parut au théâtre, ce fut un grand embarras ; mais il fut conduit dans une autre loge par les soins du duc de Trèmes, premier gentilhomme de la chambre, et en le voyant, tous les spectateurs se levèrent pour lui faire honneur. Il laissa aux comédiens des marques de sa générosité, surtout au Cid et à Chimène. Dans le monde, il ne manqua pas à sa réputation de galanterie. On remarqua qu’il parut touché des charmes de Mme de Parabère ; il fit connaissance et resta en commerce de lettres avec Mme de Ferriol, la sœur du cardinal de Tencin et la mère de d’Argental. Là probablement est l’origine de ses relations avec Voltaire. En attendant qu’il le connût, il rapporta de France ce jugement qu’on appréciera comme on le voudra et qu’il jette en passant dans une lettre à Prior : « Nos compatriotes ne sont pas beaucoup meilleurs politiques que les Français ne sont poètes. »

Quoique satisfaite de la paix, la reine trouva mauvais que Bolingbroke n’eût pas quitté le spectacle dès que le prétendant assistait à la représentation. En tout, on jugea que Bolingbroke avait eu en France plutôt l’attitude d’un allié que d’un négociateur. Il parait que sur sa route les populations l’avaient accueilli avec trop de sympathie. On raconta qu’il avait vu secrètement la reine douairière, et que le prétendant, prenant le titre de duc de Gloucester, ne s’éloignait de Paris que jusqu’à Reims. Les gazettes de Hollande ne négligèrent rien de tout ce qui pouvait rendre la paix suspecte aux yeux des Anglais ; mais la suspension d’armes avait été publiée dans les deux royaumes, et toute paix est dans les premiers momens populaire. Bolingbroke, à son retour, fut donc passablement reçu. Quoique la guerre ne fût terminée que de fait, on envoya un ambassadeur en France, et ce fut le duc de Shrewsbury. La mort de Godolphin vint porter un dernier coup à la position de Marlborough, qui passa la mer pour se retirer à Aix-la-Chapelle. Cependant les