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se le rappelle, à l’entrée des Français sur le territoire belge, le traité dit des 24 articles vint poser les bases définitives de la séparation des deux royaumes : Guillaume refusa d’y adhérer. La Russie tenait une conduite au moins singulière. Tandis que son ambassadeur concourait à Londres aux négociations destinées à maintenir la pain, l’empereur, par une lettre de sa propre main écrite au prince et à la princesse d’Orange, approuvait la levée de boucliers du 4 août, et faisait des vœux pour le succès de cette expédition. M. Van der Duyn affirme ce fait d’après une personne qui avait tenu dans ses mains et lu la lettre autographe de Nicolas. On a vu quelquefois de ces contradictions entre un roi et ses ministres dans les gouvernemens constitutionnels ; mais c’était un spectacle nouveau sous un chef absolu. Cette position fausse ne pouvait durer : le comte Orloff fut envoyé à La Haye pour la faire cesser. Il était chargé d’engager le roi « à se soumettre à l’impérieuse loi de la nécessité. » Il représenta que l’empereur était toujours animé des mêmes sentimens d’amitié et d’affection pour le roi et sa famille, sentimens dont il croyait n’avoir cessé de donner des preuves, mais qu’avant tout « il se devait à la Russie, » et ne pouvait laisser un libre cours aux mouvemens de son cœur ; qu’en conséquence il engageait le roi à accepter préalablement les 24 articles. Si le roi s’y prêtait, le comte devait se rendre à Londres et faire au nom de son maître tous ses efforts pour porter la conférence à consentir les modifications que le roi pourrait désirer, et qui auraient été admises par l’envoyé de la Russie. Comment cette proposition fut-elle accueillie ? c’est ce que la cour put apprendre le même jour. Après le dîner auquel le comte avait été invité, le roi suivant son usage, le prit à part, et, revenant sur la conversation du matin, se répandit en plaintes et en récriminations ; il se monta peu à peu, au point de dire : « Non, j’aimerais mieux périr que de consentir à de telles conditions. » Aussitôt le comte Orloff s’éloigna de trois ou quatre pas en arrière, en faisant au roi un salut profond qui semblait dire qu’il considérait sa mission comme terminée. Le roi comprit ce mouvement, et, se rapprochant du comte, il s’empressa de dire : « Non, monsieur le comte, ce n’est pas là ma réponse à votre communication, » et la conversation changea d’objet ; mais le roi n’en demeura pas moins inébranlable. Le comte Orloff prit son audience de congé et se rendit à Londres pour y porter, au nom de la Russie, la ratification du traité. On sait que Guillaume, malgré la prise d’Anvers, malgré la reconnaissance solennelle de la Belgique par l’Europe, continua de refuser son adhésion, et adopta la ligne de conduite qu’on a qualifiée de système de persévérance. Ces refus étaient mal vus par la Russie elle-même. Plusieurs années après, en 1835,