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et des provinces. Quel est le coupable de cette situation violente ? Les libéraux de Buenos-Ayres accusent Urquiza et ses prétentions dictatoriales, et ils sont à leur tour accusés par celui qui a conserve jusqu’ici le titre de directeur provisoire de la confédération. La plus grande erreur des hommes qui en ce moment encore gouvernent la ville de Buenos-Ayres, c’est certainement de n’avoir pas voulu reconnaître qu’après une révolution comme celle qui venait de renverser Rosas, celui qui en était l’instrument devait, par la force des choses, avoir une grande place dans les combinaisons nouvelles de la politique.

Ils ont engagé la lutte et ils ont été vaincus d’abord, puis ils ont ressaisi un moment la victoire, et ils en viennent aujourd’hui à être assiégés par une armée d’Urquiza. Buenos-Ayres subit à son tour le sort qu’a eu Montevideo pendant près de dix ans ; mais il est infiniment probable que le siège ne se continuera pas aussi longtemps cette fois. Depuis quelque temps, on a essayé de négocier un arrangement entre Urquiza et les chefs du gouvernement de Buenos-Ayres ; mais ces tentatives ont été sans sucrés. Une commission nommée par les deux parties a échoué, ou du moins le général Urquiza n’a point ratifié un traité signé par elle. Une médiation du ministre du Brésil et du chargé d’affaires de la Bolivie n’a abouti à rien. Il n’est point jusqu’au chef de la station navale française, M. le contre-amiral de Suin, qui s’est entremis un peu imprudemment peut-être au milieu de ces passions ardentes, et qui a retiré ses bons offices après avoir mécontenté un peu tout le monde. Au bout de tout cela, un armistice, qui avait été d’abord signé, a été dénoncé, et les hostilités ont recommencé plus animées que jamais. Maintenant, la question est de savoir à qui restera la victoire dans cette étrange lutte. D’un côté, Urquiza assiège la ville, il l’a mise en état de blocus, il la cerne de toutes parts ; de l’autre, une assez grande résolution semble dominer chez les défenseurs de Buenos-Ayres enfermés dans leurs murs. Chaque jour, ce sont de nouveaux combats entre les assiégeans et les assiégés. Tandis que ces faits se développaient cependant, le congrès général réuni à Santa-Fé pour travailler à l’organisation de la république votait une constitution. C’était le 1er mai que cette constitution a vu le jour ; elle est assurément fort libérale dans ses dispositions ; elle contient les clauses les plus favorables au développement des immigrations, elle proclame d’une manière définitive le principe de la liberté de la navigation des fleuves. Quant à son caractère intérieur, elle constitue la république sous le régime fédéral, en maintenant l’indépendance des provinces et en organisant un gouvernement supérieur de la confédération. Urquiza a déjà fait proclamer cette constitution ; il s’occupait même, assure-t-on, de faire élire dans la campagne, une salle des représentans de la province de Buenos-Ayres pour la faire sanctionner ; la question est de savoir si la ville, qui a toujours refusé d’envoyer des députés au congrès de Santa-Fé, acceptera la constitution du 1er mai. Ce n’est pas qu’il y ait des objections sérieuses et fondées, mais il y a la passion, et dans ces malheureux pays c’est la passion qui gouverne, au hasard de faire prédominer des antagonismes vulgaires sur les immenses intérêts que la paix verrait aussitôt se développer et grandir.


CH. DE MAZADE.


V. DE MARS.