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— hier encore, idole d’un cœur ardent ; aujourd’hui, seule, à peine protégée, fardeau que chacun se rejette ! C’est alors, c’est à cette heure de souffrance et d’abandon, que la religion s’offre à elle, doux recours, solide étai des âmes blessées et chancelantes. Un étranger, vêtu de noir, qui a paru plusieurs fois devant elle sur le pont où elle a voulu rester lorsque ses compagnons de voyage descendaient pour déjeuner, — et qui a scruté sa pâleur, ses larmes dérobées, son triste regard perdu sur les flots mobiles, — finit par l’aborder avec quelques amicales paroles : ses bienveillantes questions commandent la confiance, ses paroles austères inspirent le respect. « Savez-vous, dit-il à l’enfant, d’où vient la souffrance et quel tendre Père nous l’envoie, bien à regret ? Êtes-vous un de ses enfans, Ellen ? — Non, monsieur, répond-elle les yeux baissés. — Et qu’en savez-vous ? — Je sais que je n’aime pas le Sauveur. — Vous ne l’aimez pas ?… — Je ne l’aime pas comme il veut être aimé, par-dessus toute chose… car j’aime maman bien mieux que lui. » Ainsi débute cet entretien du sage ministre et de l’enfant qui pleure. Certes le moment est mal choisi pour persuader à Ellen que le Dieu qui lui retire sa mère, il faut le préférer à cette mère elle-même, et cependant ce premier pas dans la voie sainte, le ministre l’obtient d’une jeune âme qu’aigrissait le chagrin, mais qui s’épanouit et se fond sous la bénigne influence d’une parole amie.

D’ailleurs la Bible est là, dernier présent de la mère absente. Avec l’aide de ce talisman précieux, le ministre se fait obéir d’Ellen en lui prescrivant l’oubli complet des étranges procédés auxquels elle est en butte, le renoncement à toute rancune, la sincère application du grand principe évangélique : rendre le bien pour le mal.

Ellen en aura besoin. Les épreuves du premier jour ne sont rien auprès de celles qui l’attendent plus loin. Née dans les villes, élevée au sein de ces mille petits comforts qui, superflus à la rigueur, constituent néanmoins le nécessaire des gens d’un certain rang, elle va faire l’apprentissage, chez sa tante Fortune, d’une vie toute nouvelle.

Le début n’est pas encourageant. Laissée par les Dunscombe à la porte d’une hôtellerie de petite ville, la pauvre enfant, debout à côté de sa malle, voit disparaître, avec le stage-coach qui repart, tout ce qui lui restait de protecteurs. Personne ne vient à elle, personne ne se trouve là pour la recevoir. Sa tante Fortune l’attend de pied ferme, à quelque cinq ou six lieues de là, sans se préoccuper autrement de ce que fera sa nièce pour arriver. Vous reconnaîtrez là ce trait du génie américain, constaté aux gares des rail-ways par M. Ampère, dans cette Promenade en Amérique qu’on a pu lire ici-même, — rare insouciance d’autrui qui met toute créature, en ce beau pays, sous sa propre sauve-garde. Ellen, sur la voie publique, ne sait à qui s’en