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déserter la lutte, c’est qu’alors le sentiment religieux était véritablement enflammé. Cette fois, au contraire, l’émotion avait sa source dans des instincts beaucoup moins profonds et beaucoup moins ardens. Une levée de boucliers, opérée sous l’influence de la politique, s’affaissait promptement sur elle-même. Dans cette contrée, en effet, la vie publique n’a aucun ressort, pour peu que l’idée religieuse ne vienne point s’associer aux préoccupations matérielles : c’est un trait du caractère des populations nîmoises et cévenoles que l’examen des institutions locales destinées aux classes ouvrières fera mieux encore ressortir.

Dans tout le groupe des Cévennes et des Garrigues, dans l’importante cité même qui en forme le chef-lieu industriel, il n’a surgi qu’un très petit nombre de ces institutions qui, destinées à protéger les masses laborieuses, se distinguent par un caractère à la fois économique et chrétien, charitable et social. On ne rencontre point ici de ces créations dont nous avons vu tant d’exemples on Alsace, et à l’aide desquelles des chefs d’établissemens, des associations particulières ou des municipalités cherchent soit à étendre l’instruction, soit à stimuler l’esprit de prévoyance parmi les classes ouvrières, soit à prêter aux familles dans certaines circonstances une assistance immédiate. À défaut d’une initiative prise en dehors de leur sein, les travailleurs cévenols n’ont fait aucun effort pour se constituer eux-mêmes des moyens collectifs de soulagement. On ne les a pas vus, comme dans le nord de la France, comme dans des cités rapprochées du midi, Lyon et Saint-Étienne, tenter quelques essais plus ou moins aventureux, mais toujours très significatifs, en fait d’associations destinées à faciliter la vie quotidienne. À Nîmes, trois ou quatre sociétés de secours mutuels fondées à une autre époque n’avaient trouvé dans la fabrique qu’un accueil froid et décourageant.

Si les manufacturiers du Gard ne se sont pas montrés empressés de suivre les exemples du dehors, ce n’est pas leur indifférence seulement qu’il faut accuser. Sous l’empire de passions religieuses qui créent tant de résistances et de haines, il n’y a guère de place pour les institutions de patronage ou pour un rapprochement des situations et des intérêts particuliers. Un climat doux et agréable, des habitudes généralement sobres, limitent singulièrement aussi les besoins matériels. Les rares élémens qui ont pu se développer malgré ces obstacles particuliers n’en méritent pas moins d’attirer l’attention. Quel qu’en soit l’objet, ces fondations sont pures de tout contact avec les idées d’association excessive telles qu’elles étaient naguère formulées par les sectes socialistes, et qui avaient capté en plus d’un endroit les esprits aveuglés des masses. On n’a même aperçu nulle part dans ces régions après 1848, pas plus parmi les ouvriers des villes que