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adversaire ardent du stathoudérat et de la maison d’Orange, il avait, en qualité de procureur ou de fiscal près la cour de Hollande, soutenu énergiquement l’accusation portée contre Guillaume V et demandé contre le prince et sa maison un arrêt de proscription ; l’héritier des droits de cette maison pensa sans doute que le zèle de l’ancien fiscal serait en proportion de ses torts. De même qu’avoir trop bien servi les princes inspire une fierté qui devient importune, de même avoir été leur ennemi commande une docilité qui plaît ; c’est la source de beaucoup de fortunes politiques, ce fut celle de l’élévation de M. Van Maanen.

Un incident que M. Van der Duyn raconte avec détail achèvera de faire connaître le caractère de Guillaume Ier. Au commencement de 1814, quand Guillaume de Nassau n’était encore que prince souverain des Pays-Bas, un mariage avait été projeté entre le prince héréditaire d’Orange et la princesse Charlotte d’Angleterre ; on était à peu près d’accord de part et d’autre. Déjà, en Hollande, les articles du contrat avaient été rédigés et communiqués aux ministres anglais. M. Van der Duyn, envoyé à Londres pour cette affaire avec le baron Fagel, trouvait les choses assez avancées pour proposer de fixer l’époque de la célébration, lorsque des difficultés s’élevèrent sur la résidence des futurs époux. Habiteraient-ils la Hollande ou l’Angleterre ? C’était une question qui préoccupait le parlement britannique, et à laquelle on pensait que s’attacherait l’opposition, qui avait peu de goût pour ce mariage, de peur que les nouvelles relations qu’il ferait naître n’entraînassent l’Angleterre dans des guerres continentales. Guillaume insista pour que la dot et les revenus de la princesse Charlotte fussent dépensés en Hollande, et ne se prêta à aucune concession sur ce point secondaire. Il est juste de dire que le prince-régent, quoiqu’il aimât tendrement sa fille, ne s’opposait pas absolument à ce projet : peut-être, par une faiblesse qui n’était pas sans exemple, ne lui déplaisait-il pas que la présence de l’héritière du trône ne lui rappelât point à tout instant qu’il aurait à le lui transmettre ; mais l’opinion se prononçait dans les trois royaumes. Le duc de Sussex, oncle de la princesse, qui désirait le mariage, entretint en particulier M. Van der Duyn des dangers auxquels on s’exposait, et le pria d’en informer sa cour. La communication de cet avis ne produisit aucun effet. « Le duc de Sussex est de l’opposition, dit-on autour du prince, par conséquent une espèce de jacobin. Il n’y a aucun compte à tenir de ses conseils. » A la faveur de cet argument, si souvent employé dans les pays constitutionnels, et qui y fait mépriser les plus sages avis, on ne s’arrêta pas aux avertissemens donnés par le duc, et Guillaume persista plus que jamais dans ses résolutions. Cependant il était urgent d’en finir : la princesse Caroline,