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y dîner quelquefois avec William Bromley, et s’y ménageait une faveur bienveillante qui ne fit que s’accroître avec le temps. Son ardeur convenait au tempérament de l’assemblée. Les tavernes principales étaient chacune le lieu de réunion habituelle de quelque société particulière formée par une communauté d’opinion ou de goût. Londres était en outre rempli, à cette époque, de maisons à café et à chocolat (coffee houses, chocolate houses), très fréquentées du monde politique et littéraire. Ces cafés, qu’on imita bientôt sur le continent, étaient des lieux de conversation et de jeu, où les hommes connus, influens, vivaient pour ainsi dire en public. On y donnait les nouvelles, on y discutait les questions, on y écrivait des lettres et des articles ; les orateurs et les auteurs s’y rencontraient avec les journalistes et les critiques. Là se traitaient des affaires de toutes sortes. Voltaire, qui, seize ans après, visita ces établissemens, en a décrit un semblable dans sa comédie de l’Ecossaise, et tels furent les antécédens des clubs si nombreux qui aujourd’hui sont à Londres une des conditions de la vie sociale.

Le club que fonda Saint-John était plus choisi (juin 1711). Il devait éviter l’extravagance du Kit-cat, l’ivrognerie du Beefsteak, et prendre le titre de club des frères [Brothers’ Club). C’est le nom que les membres se donnèrent entre eux, et leurs femmes mêmes, parmi lesquelles il y avait des duchesses, furent quelquefois appelées sœurs. La réunion, très recherchée, très élégante, au moins pour l’esprit, n’était que de douze en commençant, et ne devait jamais beaucoup s’étendre. « Elle a pour but, dit Swift, la conversation et l’amitié, et l’on n’y admettra que des hommes d’esprit et d’influence. » C’est là qu’auprès des ducs d’Ormond et de Shrewsbury, de Masham à cause de sa femme, et de Hill à cause de sa sœur, siégeaient, avec Swift et Prior, Arbuthnot, l’ami de Pope et le médecin de la reine, et sir William Wyndham, l’ami de Saint-John et son émule pour la grâce des manières, le goût du plaisir et le talent de la parole. Cette société intime, qui se réunissait tous les jeudis, qui faisait le fonds du salon de Saint-John et de celui de mistress Masham, ne fut pas sans action sur les affaires, et servit pendant un temps à tenir unis autour d’un centre commun des hommes qui auraient pu se partager entre les deux chefs du cabinet. Oxford y fut, dès l’origine, représenté par son fils, lord Harley ; mais l’esprit de Saint-John y dominait. Toutefois, à côté de la politique, il y avait dans cette réunion, au moins pour certains membres, quelque arrière-pensée d’une fondation qui aurait pu ressembler à l’Académie française, et c’est de là que sortit le Scriblerus’ Club, que Swift, Pope, Gay, Arbuthnot, ont rendu célèbre dans l’histoire de la littérature de leur pays.

Une rupture était impossible entre les ministres tant que la question