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pour s’emparer de lui, car il se débattait vigoureusement. Enfin on parvint à le dompter. Il poussait des cris de fureur et disait au duc d’Ormond, toujours en français : « Mylord, que ne m’expédiez-vous tout de suite ? — Ce n’est pas l’affaire des honnêtes gens, lui répondit Ormond dans la même langue ; c’est l’affaire d’un autre. »

Guiscard était grièvement atteint, il languit quelques jours, et après avoir plusieurs fois vu les ministres, à qui il ne dit rien que de vague et d’obscur, il mourut, mais, à ce qu’on prétendit, d’une blessure reçue par derrière dans sa lutte contre les officiers de police. Une loi fut rendue pour les exempter de toute poursuite, et l’on eut soin de bien établir que ce n’était pas le coup d’épée de Saint-John qui l’avait tué. Le mystère de toute cette aventure occupa beaucoup le vulgaire, qui croit toujours avec peine aux crimes fortuits et extravagans, et l’on essaya de découvrir quelque manœuvre de gouvernement dans les complots désespérés et le brusque attentat d’un forcené qui manquait de sens. Cependant ce qui domina dans le monde, ce fut un vif intérêt pour Harley. Au premier moment de sa blessure, qui pouvait être mortelle, il avait montré beaucoup de calme et de générosité. On reconnut bientôt qu’elle n’était pas dangereuse ; mais il s’en était fallu de bien peu que le cœur ne fut percé, Harley resta malade quelque temps ; toute la ville s’occupa de lui ; on dit même qu’il prolongea les soins que son état réclamait, pour ajouter à l’effet de l’événement. Après sa guérison, il fut complimenté par les deux chambres, qui prirent cette occasion de recommander à la reine de se préserver des attentats des papistes, précaution très opportune après le crime d’un abbé défroqué, camisard d’occasion, mécréant par principe, renégat de toutes les croyances.

Le chancelier de l’échiquier n’était pas tout à fait rétabli, lorsqu’un second événement vint élever sa fortune au niveau de sa popularité, renouvelée par un péril récent, Rochester mourut à l’improviste (mai 1711). Délivré d’un chef inhabile et importun, Harley fut nommé lord trésorier et promu à la pairie avec le titre de comte d’Oxford et Mortimer. Leduc de Buckingham, cher à la haute église, malgré son libertinage d’esprit, fut président du conseil, et l’on donna peu après la charge de lord du sceau privé, vacante par la mort du modéré duc de Newcastle, à Robinson, évêque de Bristol, nomination singulière, qui devait, disait-on, rattacher à jamais le clergé au chef du cabinet. L’exemple ne s’est pas reproduit : il n’est pas d’usage que les évêques soient ministres. « Il est impossible, écrivait dans les premiers momens le secrétaire d’état à lord Raby, qui avait remplacé lord Townshend à La Haye, il est impossible de vous exprimer la fermeté et la magnanimité que M. Harley a montrées dans cette étrange circonstance. Moi qui l’ai toujours admiré,