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commissaire du timbre. À la chute de ses patrons, il renonça à la Gazette et garda sa place ; il donna tous ses soins au Tattler, fondé depuis un an, et qui paraissait tous les deux jours. Ce recueil, premier essai d’un genre nouveau, eut le plus grand succès, et il est resté dans la littérature anglaise. J’ignore si on le lit, mais on le cite encore. C’est bien plutôt un journal de mœurs qu’un pamphlet politique, une de ces sortes d’ouvrages que Johnson place entre la comédie et les caractères, entre Molière et La Bruyère. La politique ne s’y rencontre guère que par voie d’allusion et plutôt sous la forme de la satire générale. Steele commença le Tattler sous le nom d’Isaac Bickerstaff, pseudonyme déjà mis a la modo par Swift dans ses Prédictions pour l’année 1708, et qui devint tout à fait populaire. Des portraits crayonnés avec gaieté, avec malice, de l’esprit, non du plus fin, non du moins piquant, un style de bonne qualité, une certaine fermeté de manière qui n’évite pas toujours la lourdeur, caractérisent Steele et son œuvre. Il la soutint avec beaucoup de fécondité, quelquefois aidé par Swift lui-même, plus souvent par l’habile écrivain dont l’amitié illustre sa vie. Addison enrichit le Tattler de plusieurs articles remarquables, et se découvrit ainsi le talent dont il devait laisser un impérissable monument. Addison n’avait encore rien publié d’éminent, et cependant la dignité et la modération de son caractère, la solidité de ses principes, la supériorité de sa conversation l’avaient, du rang littéraire le plus modeste, élevé à une position respectée et placé fort au-dessus de ses égaux. C’était un whig décidé et sage ; il avait rempli en Irlande les fonctions de principal secrétaire auprès de lord Wharton, il avait quitté les affaires avec son parti, et dans les prochaines élections si fort disputées, il fut sans conteste envoyé à ce parlement où il ne parlait pas. Il imposait à Swift, qui le ménageait. Il soutenait et contenait Steele, dont il estimait la constance et l’énergie. Addison est plus qu’un journaliste. Le Spectateur, qu’il fonda quand le Babillard eut cessé de paraître, durera autant que la langue anglaise. Il écrivit rarement sur la politique ; mais, quand il le fit, on reconnut la main d’un maître : c’est du moins l’avis de Johnson, qui détestait ses principes. Sous la direction d’Addison, Steele se jeta bientôt dans la mêlée, en vrai soldat. Il est hardi, il est âcre, sa main est pesante et n’est pas toujours adroite. Supérieur à De Foe pour la culture intellectuelle, pour l’élévation des habitudes de l’esprit, il ne l’égale pas peut-être pour le naturel et le raisonnement ; mais son talent est plus littéraire et n’est pas moins passionné. Sa haine était puissante et elle appelait la haine ; celle d’une majorité appuyée d’une cour et d’un clergé ne lui fit pas défaut, et elle le poursuivit à outrance. Au temps où nous sommes cependant, il conservait encore une certaine retenue. C’était