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propres à rendre vaine l’action judiciaire étaient communément employés. On ne désignait point par leurs noms ceux que l’on attaquait ; les blancs, les initiales, les trois étoiles, les noms altérés ou contrefaits, les sobriquets épigrammatiques, les fictions, qui transportaient dans un cadre imaginaire les personnages et les actes du monde réel, toutes les ressources de l’allégorie satirique, toutes les rubriques de l’art des Aristophanes, servaient à garantir la licence et l’impunité. Les journaux proprement dits, les gazettes, se livraient à peine à la discussion politique ; mais des pamphlets sérieux et quelquefois d’un vrai mérite paraissaient en grand nombre. On commençait à créer des recueils périodiques ; enfin des multitudes de pièces détachées en prose et en vers, familières, mordantes, bouffonnes, injurieuses, cyniques, se vendaient sur la voie publique, et du nom de la rue où elles étaient imprimées on les appelait des Grub-streets. On menaça plus d’une fois ces sortes de publications de mesures répressives ou fiscales ; mais ce ne fut qu’au mois d’avril 1712 qu’un acte qui frappa d’une taxe d’un penny par demi-feuille tous les journaux et pamphlets vint restreindre les publications à bon marché, quoiqu’il ne les supprimât pas. On peut donc dire que la liberté politique de la presse existait de fait sous la reine Anne, sauf une seule restriction importante et qui paraît étrange aujourd’hui, quoique en droit elle subsiste encore : il était défendu de rendre compte des débats des deux chambres, et la défense était observée.

Les Anglais appellent encore le temps de la reine Anne leur âge d’Auguste. Nous serions assez de l’avis de lord Brougham, qui place un peu plus tôt leur véritable âge d’Auguste, true Augustan age. Cependant, à quelque époque que ce nom soit donné, il parait bien ambitieux quand on pense à Horace et à Virgile, et qu’il faut les comparer à Pope, à Prior, à Gay, à Congrève ; mais on devient plus tolérant au souvenir des prosateurs excellens qui ont alors fixé la forme de la langue anglaise, Shaftesbury, Swift, Addison, Bolingbroke. Quelque soit au reste leur mérite, la plupart, sortant du paisible monde des lettres, consacrèrent leur plume à la politique. On pourrait presque dire que les plus éminens se firent journalistes ; c’est du moins en relisant leurs œuvres qu’on verrait retracée avec le plus de relief et de vérité l’orageuse administration de Harley et de Saint-John, Ce serait un tableau littéraire et politique très intéressant à reproduire dans son ensemble ; nous ne pouvons ici que l’esquisser légèrement, Lord Somers était souvent intervenu, sans se nommer, dans les controverses des vingt dernières années, et les ouvrages qu’on lui attribue se reconnaissent à la droiture de sens et à la fermeté d’esprit. Il écrit du ton de l’homme d’état ; mais les infirmités précédaient pour lui la vieillesse, et il allait peu à peu se retirer de la