Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/689

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sion pour la simplicité, et il écrivait alors à Francy, tout au travers d’une lettre de commerce, des sorties ab irato dans le genre de celle-ci, qui est également datée de Bordeaux :


« Bordeaux, ce 26 octobre 1782.

« … Ce que je désapprouve, c’est que vous nourrissiez trois chevaux à Paris dans votre état : ce luxe est une inconséquence et plus qu’une inutilité. Vous faites tous crier après moi, après vous, après nous enfin. Et, dans le temps où je voudrais reformer une partie de mes dépenses, j’ai le chagrin d’entendre dire qu’on jette tout par les fenêtres autour de moi.

« Certes je ne dois compte, pas plus que vous, de ma conduite à personne, cependant il y a ce qu’on appelle décence d’état, et quand on l’enfreint, on a tous les sots, les envieux, les parens, les ennemis, les grands, les petits contre soi. Par cela seul que vous êtes chez moi, je m’afflige qu’on puisse me dire que tout ce qui m’approche est d’un luxe effréné. Que diable avez-vous besoin de ce train ? Eh ! vivez simplement, et chassez les inutilités. Vous m’exposez à ne plus savoir comment je vis pour mes écuries : je suis volé de toutes parts, et cela naît du désordre, dont ils profitent. Dix chevaux et trois cochers qui s’entendent pour piller ! Je vous le demande en grâce, nous sommes tous hors de nos places, mon ami[1]. Je vais ordonner qu’on vende deux jumens à moi ; j’en ai assez, trop même de cinq, et vous, ne soyez pas la cause que je ne puisse mettre de l’ordre dans mon domestique. Dès qu’il y a confusion, il y a volerie. Ce que je vous mande est juste et raisonnable : je veux vivre désormais dans la plus grande simplicité. Quand vous saurez de quelle hauteur partent les observations critiques qui donnent lieu à mes confidences, vous trouverez que je ne puis trop me précautionner contre la méchanceté, vous ne voudriez pas me faire du mal, et tout cela m’en fait. C’est mon cœur qui vous parle, comme un ami le fait à son ami. »


Malgré les adoucissemens de la forme, ces observations déplurent sans doute à Francy, qui était fier, un peu capricieux en sa qualité de malade, et qui entretenait ses trois chevaux à ses frais ; car, dans la lettre qui suit celle que nous venons de citer, Beaumarchais, si guerroyant au dehors, mais qui aimait avant tout la paix dans son intérieur, lui répond amicalement : « Personne ne m’entend ni ne veut m’entendre. Eh bien ! faites à votre fantaisie, n’en parlons plus, et portez-vous bien ; c’est le principal. »

La santé de ce jeune homme, atteint d’une maladie de poitrine, déclinait de jour en jour. Il était allé passer quelque temps à Dunkerque chez des amis. L’auteur du Barbier, au milieu de tous ses travaux, trouve le temps de se transformer pour son Francy en médecin, et il lui écrit cette lettre qui me semble empreinte d’un caractère de bonté touchante en raison même des artifices délicats que

  1. Ceci est du Beaumarchais à la fois plein de bon sens et de délicatesse.