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s’il les eût désapprouvées, rien ne lui eût été plus facile que de s’y opposer, même sans sortir du mystère que lui commandait la situation avant la rupture avec l’Angleterre, et à plus forte raison après cette rupture. J’ai dû néanmoins rétablir aussi, contrairement à l’opinion très sincère des héritiers de Beaumarchais et aux déclarations des divers ministres depuis 1778, toutes basées sur la première déclaration officielle de M. de Vergennes, j’ai dû rétablir la vérité quant au fait du fameux million, qui fut incontestablement donné par le gouvernement, non pas pour un service politique secret, étranger aux fournitures américaines, mais pour ces fournitures mêmes. — Maintenant je dois faire plus. En entreprenant cette étude sur un homme très calomnié, mais qui n’est certainement pas un héros ou un sage, en l’entreprenant surtout comme un moyen de pénétrer plus intimement dans les mœurs et dans l’esprit du XVIIIe siècle, je ne me suis nullement proposé d’être partout et toujours l’avocat de Beaumarchais. Je dirai donc, en sacrifiant à un devoir absolu de sincérité la crainte de froisser peut-être un peu les sentimens si respectables d’une famille qui a bien voulu me confier les papiers de son aïeul, je dirai que j’ai trouvé récemment, en dehors des papiers qui m’étaient confiés, des documens d’une authenticité incontestable qui prouvent non pas que la réclamation de Beaumarchais était mal fondée par rapport aux États-Unis (sous ce point de vue, elle me semble toujours parfaitement légitime), mais que sa créance prise en elle-même était peut-être moins intéressante que je ne le croyais d’abord, et voici pourquoi. Partant de l’idée qu’il n’avait reçu du gouvernement français qu’une subvention d’un million pour une opération des plus périlleuses, il me paraissait souverainement injuste que, cette subvention ayant eu pour résultat de l’entraîner dans une dépense de plus de 5 millions, Beaumarchais, après avoir été payé très mal et à peine de la moitié de ces 5 millions, eût tant de difficultés à vaincre pour obtenir le paiement du reste. J’avais peine à m’expliquer l’attitude de M. de Vergennes, car d’un côté le ministre semblait dire clairement que l’intention du gouvernement était de laisser à Beaumarchais, en même temps que les chances d’insuccès, les chances de bénéfice dans l’entreprise, et d’un autre côté il le soutenait à peine dans ses réclamations. Se contentant de ne pas fournir d’armes contre lui, il paraissait garder une sorte de neutralité entre le fournisseur qui sollicitait son paiement et les États-Unis, qui, malgré une première déclaration officielle du ministre, lui demandaient sans cesse, en refusant de payer : Est-il bien vrai que cette créance est sérieuse ? Cette tiédeur de M. de Vergennes, comparée au zèle manifesté plus tard en faveur de la créance par tant d’autres ministres qui ne connaissaient pas bien le fond des choses, me semblait inexplicable. De