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avait une explication à demander sur les 3 millions indiqués comme ayant été donnés antérieurement à 1778. Il n’avait reçu du gouvernement que 2 millions, mais il avait reçu en 1777 un million en plus des fermiers généraux, pour lequel million les États-Unis avaient payé un à-compte en tabac de 153,229 livres. « Il est possible, écrit Franklin au banquier des États-Unis à Paris, que ce million fourni ostensiblement par les fermiers généraux ait été en réalité un don de la couronne ; mais dans ce cas, comme l’observe M. Thompson, les fermiers généraux nous doivent les deux cargaisons de tabac qu’ils ont reçues à valoir sur cette somme. » Ce qui est assez naïf, c’est que Franklin n’ajoute pas qu’au cas où le million en question ne serait pas celui des fermiers généraux, les États-Unis doivent au contraire, depuis neuf ans, aux fermiers généraux la différence entre un million reçu en 1777 et un à-compte en tabac de 153,229 livres. Il faut dire qu’à cette époque les États-Unis, nation jeune et pauvre, étaient assez habitués à recevoir de toutes mains et plus disposés à accepter qu’à rendre[1]. Le banquier des États-Unis, M. Grand, fut donc chargé de s’informer auprès de M. de Vergennes si, parmi les 3 millions que le roi déclarait avoir accordés gratuitement pour les États-Unis, figurait le million des fermiers généraux. Il lui fut répondu par M. Durival, au nom de M. de Vergennes, que le roi était étranger à l’avance faite par les fermiers généraux, mais que la somme en question était un million délivré par le trésor royal le 19 juin 1776. C’était précisément le million donné secrètement à Beaumarchais. Or quelle avait été la pensée du gouvernement en insérant dans le contrat du 25 février 1783 la mention de ce million à la suite des 8 millions donnés directement aux agens de l’Amérique ? Était-ce une simple récapitulation de l’argent déboursé à titre gratuit en faveur des États-Unis, récapitulation faite pour le règlement des comptes du trésor et sans qu’on eût réfléchi aux inconvéniens qu’elle pourrait avoir par rapport à Beaumarchais ? ou bien le gouvernement entendait-il par là que celui qui avait reçu ce million en rendrait compte aux États-Unis ? Si cette dernière supposition était la vraie, il faudrait bien reconnaître que Beaumarchais, en demandant le paiement intégral de toutes ses cargaisons, sauf à rendre compte de son côté à qui de droit, aurait agi contrairement aux vues du gouvernement qui l’avait subven-

  1. Je lis à ce sujet dans une dépêche de notre chargé d’affaires à Philadelphie, M. de Marbois, à M. de Vergennes, en date du 24 août 1784, les lignes suivantes : « Je ne crois pas M. M… (le ministre des finances des États-Unis) susceptible d’aversion ou d’affection pour aucune puissance ; mais j’ai lieu de croire que son avidité peut le rendre capable d’irrégularités très répréhensibles, et qu’à moins qu’il ne soit lié par les instructions du congrès général, il s’embarrassera toujours fort peu de remplir les obligations des États-Unis envers sa majesté. »