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toutes les rêveries panthéistiques de l’Allemagne pouvaient se donner carrière. Or, entre ces deux termes, la contradiction est absolue. Le système de Hegel une fois introduit dans le christianisme, il faut que le Christianisme disparaisse. Maerklin ne tarda pas à en faire l’expérience. De vives luttes qu’il eut à soutenir contre les piétistes de Calw ramenèrent peu à peu à voir plus clairement le fond de son âme ; les conséquences des principes auxquels il était attaché se développèrent tout naturellement dans l’ardeur de la discussion, el, descendant la pente glissante sur laquelle il croyait pouvoir s’arrêter, il alla bientôt rejoindre l’auteur de la Vie de Jésus. De là à l’athéisme de un Feuerbach la distance n’est pas longue. Le noble Maerklin se sentit en effet puissamment attiré par cette dialectique pernicieuse aux enseignemens de laquelle son intelligence n’était que trop préparée. Que faire dans une telle situation ? M. Strauss décrit ici avec émotion les angoisses de ces jeunes théologiens chargés d’enseigner des dogmes auxquels ils ne croient pas. Ils hésitent à rompre leurs liens ; ils n’ont pas le courage de sortir de l’église. Chez quelques-uns, sans doute cette hésitation tient à des motifs terrestres ; mais combien il en est aussi qui sont retenus par les plus pures attaches ! Maerklin avait une fortune suffisante ; il n’avait pas besoin, comme tant d’autres confrères moins heureux, de songer à sa famille, à ses enfans, à la difficulté de se créer une carrière nouvelle ; rien de tout cela ne l’eût effrayé ; mais quoi ! abandonner cette église qu’il aimait, ces pauvres qu’il avait assistés, ces humbles d’esprit qu’il avait réconfortés en leur parlant du Christ ! Il ne pouvait s’y résoudre ; il le fallut bien cependant. Le voile une fois déchiré, une clarté impitoyable révélait à Maerklin l’anéantissement complet de ce semblant de christianisme qui lui avait longtemps suffi. Il commençait d’ailleurs à être suspect. La droiture de sa conscience ne lui permit plus de prolonger davantage cette situation impossible. Entre le Christ et Hegel, Maerklin avait choisi, — sans bruit, sans scandale, après de secrets et douloureux débats avec lui-même ; il ne lui restait plus qu’à déposer son ministère.

Dès que sa résolution fut prise, Maerklin poussa un cri de joie. Il avait obtenu une place de professeur au lycée de Heilhronn ; ces fonctions nouvelles lui semblaient, un affranchissement. Ce rôle de théologien qu’il ne pouvait plus garder qu’à force de subterfuges et de capitulations subtiles avec sa conscience, il le quittait enfin pour respirer, disait-il, avec les écrivains de la Grèce et de Rome l’air franc de la nature et de la vérité. Expliquer Homère et Sophocle, commenter Virgile et Tacite, quel bonheur pour ce panthéiste occupé depuis tant d’années à mettre d’accord les doutes de son âme et les obligations du sacerdoce ! « Combien je me réjouis, écrivait-il, de partir pour Heilhronn ! Que ma position sera franche ! Me voilà délivré de ces liens qui m’enlaçaient. La théologie et l’église, qu’était-ce pour moi ! Une vie entortillée, contraire à la vérité, contraire à la nature. J’aspire avec ardeur à la saine nourriture de l’histoire et des classiques de l’antiquité. Je veux être un païen de toutes les forces de mon cœur. Là au moins, tout est vrai, tout est naturel, tout est grand. » Maerklin se plongea donc avec amour dans l’étude de l’art et de la philosophie grecque. Une seule chose lui restait de son existence ecclésiastique, je veux dire cette charité qu’il avait pratiquée avec un