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trois derniers siècles une si glorieuse valeur dans l’histoire de l’humanité. Jamais plus grands intérêts n’avaient été en jeu sur le théâtre du monde, et si, d’après le mot d’un ancien, la lutte d’un homme de cœur avec la destinée est le plus noble, tableau qui puisse réjouir les dieux, jamais la Providence suprême n’avait assisté sur la terre à un pareil spectacle. Il y a une légende du XVe siècle, la légende de Faust, qui nous donne la figure exacte de l’humanité nouvelle : au milieu des exaltations et des découragemens de la science, l’homme est devenu la proie des séductions diaboliques. Or le plus profond poète du XIXe siècle, s’est emparé de cette légende, et il a essayé de donner une solution au drame intérieur qu’elle retrace ; « N’est-ce pas là, dit M. Carrière, le symbole de la mission de notre temps ? La lutte engagée aux XVe et XVIe siècles, c’est nous qui devons la terminer ; c’est nous qui devons trouver enfin ce christianisme viril, et nous y attacher, non plus comme le moyen-âge, avec l’aveugle amour de l’enfant, mais avec la liberté d’une intelligence qui se possède. » C’est avec ces hautes idées que M. Carrière étudie tous les penseurs de la renaissance et de la réforme. Les mystiques allemands qui précèdent Luther, les panthéistes italiens, les philosophes de la nature, sont à ses yeux des groupes d’esprits qui se partagent la grande étude du cosmos et marchent sans le savoir à une même conclusion, que notre siècle, doit recueillir en l’épurant.

Après avoir étudié sous ce nouvel aspect l’histoire philosophique de la renaissance, M. Carrière s’est tourné vers notre siècle, vers l’Allemagne : il a publié en 1850 un livre intitulé : Discours et méditations religieuses adressés à la nation allemande par un philosophe allemand. À l’époque où l’Allemagne s’apprêtait à secouer le joug de la France, le grand patriote Fichte publiait ses Discours à la nation allemande. Ce n’est pas le patriotisme aujourd’hui qui est en péril, c’est le sentiment religieux ; M. Carrière l’a compris, et il a écrit son livre. Certes, la rénovation morale dont nous rassemblons ici les titres doit inspirer de sérieuses espérances, lorsqu’on voit un ancien disciple de Hegel ouvrir son manifeste par ces nobles paroles : « Je veux parler au peuple de l’esprit du christianisme, afin qu’il sache ce qu’il croit, et que son propre cœur lui soit révélé. L’heure présente est sombre et pleine d’inquiétudes. Nous avons appris par de cruelles expériences ce que peuvent produire les soulèvemens du peuple, quand le peuple n’est pas guidé par une conscience vraiment religieuse, quand son âme n’est pas épurée par le sentiment de Dieu : nous avons vu cette barbarie sans frein, ces convoitises sauvages, ces vengeances, ces assassinats, ces désordres inouïs des actions et des paroles. La religion elle-même n’était-elle pas menacée de disparaître, obscurcie d’un côté par la superstition, étouffée de l’autre par une impiété sauvage ? N’était-ce pas déjà une opinion universellement admise qu’un philosophe ne pouvait parler du Sauveur sans prononcer son oraison funèbre et sans le ranger (il s’agit des plus tolérans), sans le ranger auprès des grands morts dans le panthéon de l’histoire ? Quant à moi, je sens que rien n’est mort, que rien ne mourra de ce qui a véritablement vécu, et je vois dans les luttes et les convulsions de notre temps les premières douleurs d’un enfantement nouveau, les premiers signes d’une régénération du christianisme. » Voilà de généreuses espérances. L’ouvrage de M. Carrière n’est lui-même