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là sans doute bien des erreurs, et par suite bien des découragemens. N’importe : c’est là une préoccupation sublime. On avait renoncé à ces nobles études depuis une vingtaine d’années ; on y retourne aujourd’hui, et c’est encore un des heureux symptômes que je prends plaisir à consigner ici. M. Edgar Quinet n’a pas craint de dire : « Quand l’esprit allemand n’est pas dans la nue, il rampe. » Puisque ce sévère jugement est exact, — et les désordres de ces dernières années l’ont prouvé plus qu’il n’était besoin, — puisque l’esprit allemand, s’il ne se nourrit pas de spéculations sublimes, se perd bientôt dans l’athéisme, c’est bon signe de voir les questions théologiques étudiées de nouveau avec ferveur. Je ne parle pas ici des théologiens de profession, je parle surtout des écrivains laïques qui cherchent librement et au nom de la raison à contempler de plus près les mystérieuses vérités du christianisme.

Au premier rang de ce groupe, il faut placer un homme de cœur et d’imagination, demi-philosophe et demi-théologien, M. Maurice Carrière. M. Carrière est un de ces disciples de Hegel qui ont échappé de bonne heure au joug du maître, il a emprunté au philosophe de Berlin la théorie du développement progressif des siècles ; mais ce qu’il y a de fatal dans le tableau tracé par Hegel répugnait à cette âme naturellement religieuse : il croyait à la personnalité de Dieu, à la liberté de l’homme, et le christianisme lui apparaissait comme le programme de la vérité philosophique, programme interprété jusqu’ici d’une manière insuffisante et dont il faut déployer toutes les richesses. M. de Lamartine, dans son ode sur les Révolutions, a dit :

Les siècles page à page épellent l’Evangile ;
Vous n’y lisiez qu’un mot, et vous en lirez mille.


Ces vers pourraient servir d’épigraphe aux ouvrages de M. Carrière. M. Carrière cite quelque part un écrivain allemand, M. Roth, qui s’est exprimé ainsi sur le christianisme : « Nous sommes trop accoutumés à ne considérer l’enseignement du christ que comme un enseignement religieux ; le christianisme est une religion et une philosophie. » C’est aussi là le résumé fidèle de sa pensée et le secret de ses efforts. M. Carrière est dévoué au christianisme, mais il y est dévoué comme un homme qui ne possède pas encore la vérité, comme un esprit généreux et inquiet qui aspire ardemment à des lumières plus vives.

De tous les travaux que M. Carrière avait publiés avant 1848, le plus recommandable est consacré à la grande crise philosophique et religieuse du XVIe siècle ; il porte ce titre : De la Philosophie au temps de la réforme et de ses rapports avec notre siècle. L’auteur commence par établir que la religion est le plus haut développement des facultés humaines, que tout ce qu’il y a de grand ici-bas est sorti de son sein et tend à y retourner. L’esprit humain, émancipé de la longue et nécessaire tutelle du moyen âge, ne devait plus vivre d’une foi enfantine ; il fallait qu’il s’attachât lui-même et librement à Dieu. Situation périlleuse, mais sublime ! échappé au joug de l’autorité, il allait être tenté par les puissances mauvaises qui ne travaillent qu’à l’éloigner de Dieu, et la grande lutte morale commençait. Voilà ce qui donne aux