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cette nation vigoureuse ! « Nous nous endormions dans la protection, vous disent aujourd’hui de simples fermiers, nous ne faisions pas tout ce que nous pouvions faire ; nous avions d’ailleurs toujours devant nous un inconnu, nous n’osions pas nous lancer dans la crainte que l’abolition des corn laws, réclamée par tant de puissans intérêts, ne vint nous surprendre ; aujourd’hui le nuage est dissipé, le monstre que nous redoutions est venu, nous l’avons mesuré, et nous avons vu qu’il n’était pas si terrible ; le sol est affermi sous nos pas, nous n’avons plus rien à craindre, nous ne dépendons plus que de Dieu et de nous. »

Une circonstance inattendue pour beaucoup de monde, quoique depuis longtemps prévue et prédite, est venue depuis quelque temps fortifier cette confiance, on avait travaillé dans la persuasion que les prix des denrées agricoles resteraient ce qu’ils étaient depuis 1848, c’est-à-dire d’environ 25 pour 100 au-dessous des anciens, et au moment où l’on espérait regagner par une culture perfectionnée cette différence sur le prix de revient, les prix ont recommencé à monter. Depuis six mois environ, malgré l’accroissement continu de la production nationale, malgré les importations de blé et de viande, que le monde entier envoie en Angleterre, une hausse persistante s’est déclarée. L’immense essor que le ftee trade a donné au commerce et qui se manifeste par les rapports officiels sur les importations et exportations, la prodigieuse prospérité qui en résulte pour toutes les classes de la nation et qui se révèle à son tour par les états du revenu public, ont augmenté la consommation à un tel point, que les moyens d’approvisionnement redeviennent insuffisans. Les pluies continues de l’été, en donnant des inquiétudes sérieuses sur la récolte, ont précipité le mouvement. Dans le seul marché de lundi dernier, à Londres, le blé a monté de 3 shillings ; le quarter de froment, qui se vendait 40 shillings il y a un an, en vaut aujourd’hui 54, soit 23 fr. l’hectolitre au lieu de 17. La viande avait déjà subi une augmentation analogue, et le troisième des grands produits agricoles anglais, la laine, avait dû au redoublement d’activité des manufactures, à la diminution des arrivages de l’Australie depuis la fièvre de l’or, une hausse non moins forte.

Ainsi, l’agriculture gagne à la fois des deux mains ; elle augmente ses produits, elle diminue ses frais, et elle vend aussi cher qu’autrefois. Cette hausse, qui lui est si avantageuse, n’a d’ailleurs rien d’artificiel et de forcé ; c’est la conséquence de la nature des choses et non d’un privilège légal, l’agriculture peut en profiter eu toute sûreté de conscience. Elle sera sans doute suivie d’une nouvelle baisse, car de toutes parts le génie commercial est en quête de nouveaux moyens d’approvisionnement ; le besoin qu’on a des blés de la Mer-Noire et de la Baltique est la grande cause qui arrête la guerre contre la Russie ; on va jusqu’en Amérique chercher d’énormes quantités de farine et de maïs. La concurrence réduit partout les frais de transport ; aujourd’hui un bœuf vient du centre de l’Irlande à Londres pour 25 francs, la distance est de 511 milles anglais ou plus de 200 lieues ; de Rotterdam à Londres, le port d’un bœuf est de 18 francs, celui d’un veau de 6 francs, celui d’un mouton de 3 fr. Malgré ces facilités, il ne parait pas probable que la baisse future soit jamais aussi forte qu’après 1848. Bien que, depuis trente-huit ans, 3 millions et demi d’Anglais, Écossais ou Irlandais, aient quitté le royaume-uni pour les