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intempestives l’un des actes les plus hardis de sa politique extérieure, la négociation des mariages espagnols. Il ne s’agissait d’ailleurs que d’un îlot qui n’a de valeur que par son port, et en y plantant notre drapeau, nous nous serions imposé les charges d’une surveillance très dispendieuse sur les pros de Soulou. Mais ce qu’il faut déplorer amèrement, c’est de voir la France complètement en dehors des intérêts qui s’agitent dans ces régions de l’Asie. D’autres peuples, mieux avisés et plus heureux, seront assurés de tous les archipels, de toutes les îles ; nous sommes arrivés trop tard, il ne restait plus rien. Serions-nous donc éternellement condamnés à assister de loin, et sans y prendre part, à l’extension de l’influence européenne sur un si vaste théâtre ? N’existe-t-il aucun moyen de pénétrer dans l’extrême Orient et d’y fonder pour l’avenir un établissement digne de nous ? — Parmi les grandes îles qui dépendent des Philippines et de l’archipel de la Sonde, il en est sur lesquelles l’Espagne et la Hollande ne possèdent qu’une autorité nominale et dont elles ne sont pas en mesure d’exploiter les immenses richesses. Pourquoi ne tenterait-on pas d’obtenir, à prix d’argent, la cession d’un territoire appartenant à l’une ou à l’autre de ces deux puissances ? En face des agrandissemens gigantesques de la domination anglaise, notre présence en Asie maintiendrait, au profit de la Hollande et de l’Espagne, l’équilibre qui menace à chaque instant d’être rompu par la Grande-Bretagne ; elle garantirait à la Hollande l’exécution du traité de 1824, à l’Espagne la propriété de Luçon : elle serait, en un mot, pour tous les peuples un gage de sécurité et de paix, en même temps qu’elle procurerait à l’œuvre commune de la colonisation asiatique un nouvel et puissant auxiliaire. — Dira-t-on que la France n’a que faire de s’engager dans une pareille aventure et de porter son ambition si loin ? On aurait pu, il y a vingt ans, tenir ce langage ; aujourd’hui, bien aveugles ceux qui n’aperçoivent pas le mouvement irrésistible qui entraîne l’Occident vers l’Orient ! Bornéo, Sumatra, Mindanao, ces grandes îles encore sauvages, sont appelées à devenir de magnifiques colonies. Encore un peu de temps, l’Europe les pénétrera de toutes parts, et la piraterie, malaise, noyée dans les flots toujours montans de la civilisation, aura disparu.


C. LAVOLLEE.