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leur ennui, entourèrent Mme de Larçay comme à l’ordinaire. Ne sachant trop que lui dire ce soir-là, parce que les lieux communs qui conviennent à un salon ne sont plus de mise au bal masqué, ils lui parlèrent de la beauté de sa femme de chambre allemande. Il se trouva même parmi eux un sot plus hardi qui se permit quelques allusions peu délicates à la jalousie que l’on supposait à Mme de Larçay. Un masque tout à fait grossier l’engagea à se venger de son mari en prenant un amant ; ce mot fit explosion dans la tête d’une femme fort sage et accoutumée à l’auréole de flatteries dont une haute position et une grande fortune entourent la vie.

Le lendemain du bal, il y eut promenade sur le lac. Mina fut libre et put se rendre chez Mme Cramer, où elle reçut M. de Ruppert. Il n’était pas encore remis de son étonnement. — De grands malheurs qui ont changé ma position, lui dit Mina, m’ont portée à rendre justice à votre amour. Nous convient-il d’épouser une veuve ? — Vous auriez été mariée secrètement ! dit le comte pâlissant. — Comment ne l’avez-vous pas deviné, répondit Mina, lorsque vous m’avez vue, vous refuser, vous et les plus grands partis de France ? — Caractère singulier, mais admirable ! s’écria le comte, cherchant à faire oublier son étonnement. — Je suis liée à un homme indigne de moi, reprit Mlle de Wangel ; mais je suis protestante, et ma religion, que je serais heureuse de vous voir suivre, me permet le divorce. Ne croyez pas cependant que je puisse, dans ce moment, éprouver de l’amour pour personne, même quand il s’agirait de l’homme qui m’inspirerait le plus d’estime et de confiance : je ne puis vous offrir que de l’amitié. J’aime le séjour de la France ; comment l’oublier quand on l’a connue ? J’ai besoin d’un protecteur. Vous avez un grand nom, beaucoup d’esprit, tout ce qui donne une belle position dans le monde. Une grande fortune peut faire de votre hôtel la première maison de Paris. Voulez-vous m’obéir comme un enfant ? À ce prix, mais seulement à ce prix, je vous offre ma main dans un an.

Pendant ce long discours, le comte de Ruppert calculait les effets d’un roman désagréable à soutenir, mais toujours avec une grande fortune, et au fond avec une femme réellement bonne. Ce fut avec beaucoup de grâce qu’il jura obéissance à Mina. Il essaya de toutes les formes pour pénétrer plus avant dans ses secrets. — Rien de plus inutile que vos efforts, lui répondait-on en riant. Aurez-vous le courage d’un lion et la docilité d’un enfant ? — Je suis votre esclave, répondit le comte. — Je vis cachée dans les environs d’Aix, mais je sais tout ce qui s’y fait. Dans huit ou neuf jours, regardez le lac au moment où minuit sonnera à l’horloge de la paroisse : vous verrez un pot à feu voguer sur les ondes. Le lendemain à neuf heures du soir, je serai ici et je vous permets d’y venir. Prononcez mon