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peint à leurs yeux comme un homme d’une médiocrité achevée. Alfred ne cherchait jamais à dire des choses piquantes. Cette habitude était ce qui, le premier jour, avait le plus contribué à faire naître l’extrême attention de Mina. Voyant les Français à travers les préjugés de son pays, il lui semblait que leur conversation avait toujours l’air de la fin d’un couplet de vaudeville. Alfred avait vu assez de gens distingués en sa vie pour pouvoir faire de l’esprit avec sa mémoire ; mais il se serait gardé comme d’une bassesse de dire des mots de pur agrément qu’il n’eût pas inventés dans le moment, et que quelqu’un des auditeurs eût pu savoir comme lui.

Chaque soir, Alfred conduisait sa femme à la Redoute, et revenait ensuite chez lui pour se livrer à une passion pour la botanique que venait de faire naître le voisinage des lieux où Jean-Jacques Rousseau avait passé sa jeunesse. Alfred plaça ses cartons et ses plantes dans le salon où travaillait Aniken. Chaque soir, ils se trouvaient seuls ensemble des heures entières, sans que, de part ni d’autre, il fût dit un mot. Ils étaient tous les deux embarrassés et pourtant heureux. Aniken n’avait d’autre prévenance pour Alfred que celle de faire fondre d’avance de la gomme dans de l’eau, pour qu’il pût coller dans son herbier des plantes sèches, et encore elle ne se permettait ce soin que parce qu’il pouvait passer pour faire partie de ses devoirs. Quand Alfred n’était pas. Mina admirait ces jolies plantes qu’il rapportait de ses courses dans les montagnes si pittoresques des bords du lac du Bourget. Elle se prit d’un amour sincère pour la botanique. Alfred trouva cela commode et bientôt singulier. « Il m’aime, se dit Mina : mais je viens de voir comment mon zèle pour les fonctions de mon état a réussi auprès de Mme de Larçay. »

Mme Cramer feignit de tomber malade ; Mina demanda et obtint la permission de passer ses soirées auprès de son ancienne maîtresse. Alfred fut étonné de sentir décroître et presque disparaître son goût pour la botanique : il restait le soir à la Redoute, et sa femme le plaisantait sur l’ennui que lui donnait la solitude. Alfred s’avoua qu’il avait du goût pour cette jeune fille. Contrarié par la timidité qu’il se trouvait auprès d’elle, il eut un moment de fatuité : « Pourquoi, se dit-il, ne pas agir comme le ferait un de mes amis ? Ce n’est après tout, qu’une femme de chambre. »

Un soir qu’il pleuvait. Mina resta à la maison. Alfred ne fit que paraître à la Redoute. Lorsqu’il rentra chez lui, la présence de Mina dans le salon parut le surprendre. Cette petite fausseté, dont Mina s’aperçut, lui ôta tout le bonheur qu’elle se promettait de cette soirée. Ce fut peut-être à cette disposition qu’elle dut la véritable indignation avec laquelle elle repoussa les entreprises d’Afred. Elle se retira dans sa chambre, « Je me suis trompée, se dit-elle en pleurant ;