Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/566

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à tous les hommes, me conduit à cette étrange démarche ? Probablement elle va me déshonorer : eh bien ! les couvens de l’église catholique m’offrent un refuge.

Minuit sonnait au clocher d’un village de l’autre côté du lac. Cette heure solennelle fit tressaillir Mina ; la lune n’éclairait plus ; elle rentra. Ce fut appuyée sur la balustrade de la galerie qui donnait sur le lac et le petit jardin que Mina, cachée sous le nom d’Aniken, attendit ses maîtres. La musique lui avait rendu toute sa bravoure. — Mes aïeux, se disait-elle, quittaient leur magnifique château de Ki… pour aller à la Terre-Sainte ; peu d’années après, ils en revenaient seuls, au travers de mille périls, déguisés comme moi. Le courage qui les animait me jette, moi, au milieu des seuls dangers qui, en ce siècle puéril, plat et vulgaire, soient à la portée de mon sexe. Que je m’en tire avec honneur, et les âmes généreuses pourront s’étonner de ma faiblesse, mais en secret elles me la pardonneront.

Les jours passèrent rapidement et trouvèrent bientôt Mina réconciliée avec son sort. Elle était obligée de coudre beaucoup ; elle acceptait gaiement les devoirs de ce nouvel état. Souvent il lui semblait jouer la comédie : elle se plaisantait elle-même quand il lui échappait un mouvement étranger à son rôle. Un jour, à l’heure de la promenade, après dîner, quand le laquais ouvrit la calèche et déploya le marchepied, elle s’avança lestement pour monter. — Cette fille est folle, dit Mme de Larçay. Alfred la regarda beaucoup ; il lui trouvait une grâce parfaite. Mina n’était nullement agitée par les idées du devoir ou par la crainte du ridicule. Les idées de prudence humaine étaient bien au-dessous d’elle : toutes les objections qu’elle se faisait ne venaient que du danger d’inspirer des soupçons à Mme de Larçay. Il y avait à peine six semaines qu’elle avait passé toute une journée avec elle et dans un rôle bien différent.

Chaque jour, Mina se levait de grand matin et passait deux heures à quelques apprêts de toilette, exigés par le rôle qu’elle s’était donné : ces cheveux blonds si beaux, et qu’on lui avait dit si souvent qu’il était si difficile d’oublier, quelques coups de ciseaux en avaient fait justice ; grâce à une préparation chimique, ils avaient pris une couleur mélangée, tirant sur le châtain foncé. Une légère décoction de feuilles de houx, appliquée chaque matin sur ses mains si délicates, leur donnait l’apparence d’une peau rude. Chaque matin aussi, ce teint si frais prenait quelques-unes des teintes douteuses que rapportent des colonies les blancs dont le sang a eu quelque rapport avec la race nègre. Contente de son déguisement, Mina songea à ne pas avoir d’idées d’un ordre trop remarquable. Absorbée dans son bonheur, elle n’avait aucune envie de parler. Placée auprès d’une fenêtre, dans la chambre de Mme de Larçay, et occupée