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est la seule où elle ait pleinement réussi à faire prévaloir un grand intérêt national, en atteignant son but sans le dépasser.

Je puis d’autant moins concorder avec M. Thierry sur l’appréciation de ce grand épisode, que personne n’a relevé avec plus de justesse l’heureuse influence qu’eut sur l’esprit politique du tiers-état sa résistance à la réforme, dont la cause se trouvait d’ailleurs, en France comme par toute l’Europe, identifiée avec celle de l’aristocratie territoriale. La masse entière de la population urbaine avait été agitée par le grand courant des opinions du siècle. Les hommes de tous les rangs et de toutes les professions, depuis l’artisan et l’avocat jusqu’au grand seigneur, s’étaient pour la première fois rapprochés les uns des autres dans la fraternité d’une même croyance et sous le drapeau d’un même parti, ainsi qu’il le constate lui-même. La ligue dissoute, mais dissoute après une victoire du tiers-état, obtenue par sa persistance et conservée par sa modération, il dut se développer un sentiment commun de confiance et de dignité personnelle dans l’âme de tous ceux qui avaient concouru à ce résultat national : ils le transmirent comme un héritage à leurs enfans, tout en retournant eux-mêmes, après la clôture des conciliabules, les uns à leurs occupations manuelles, les autres aux labeurs de leurs professions libérales.

Le côté fatal de l’événement qui fraya au chef de la maison de Bourbon les voies du trône, ce fut la prépondérance excessive que prit bientôt après le pouvoir royal, en transformant en une victoire remportée par lui-même ce qui n’avait été qu’une transaction entre son droit héréditaire et la volonté nationale. Servie successivement par le souple génie de Henri IV et l’inflexible génie de Richelieu, la royauté ne tarda pas à absorber tous les pouvoirs et à faire fléchir sous le niveau, non de la loi commune, mais de ses caprices personnels, toutes les forces indépendantes. Si la noblesse fit une perte irréparable pour son avenir politique en échangeant son existence territoriale contre la vie de cour, M. Thierry me permettra de penser que les pertes faites alors par le tiers-état, bien loin de n’avoir été qu’apparentes, furent tout aussi réelles et non moins désastreuses. Les assemblées nationales mises en oubli, les communes dépouillées de toutes leurs libertés et de leur quasi-souveraineté locale, le pouvoir municipal perdant sa juridiction civile et criminelle, les droits des villes devenus matière de finances et rachetés par elles pour être de nouveau confisqués, les parlemens se voyant contester jusqu’à la simple remontrance et devenant factieux pour être quelque chose : toutes ces conquêtes, faites par une application démesurément exagérée du principe de la centralisation administrative, allèrent atteindre au cœur la bourgeoisie tout entière, non point, il est vrai, en arrêtant