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de l’intelligence nationale. Là se rencontre à son apogée cette révolution intellectuelle qu’on nomme d’un seul mot — la renaissance, et qui renouvelle tout, sciences, beaux-arts, philosophie, littérature, par l’alliance de l’esprit français avec le génie de l’antiquité. »

La France est la terre des contrastes, des abaissemens soudains, comme des retours plus soudains encore. Après ces beaux jours de Louis XII et de François Ier, dont M. Thierry peint à grands traits l’éclatant tableau, la noble nation tomba tout à coup dans le sombre abîme au fond duquel la postérité voit tournoyer la ronde des assassins et des victimes, des mignons et des empoisonneurs. Après Bayard, elle eut Catherine de Médicis ; après les grandes guerres d’Italie, les massacres nocturnes ; après la construction des chefs-d’œuvre, le marteau des iconoclastes.

Parvenue au XVIe siècle presque à la plénitude de son développement intellectuel et social, maîtresse de toutes les fonctions administratives et judiciaires, depuis les secrétaireries d’état et la chancellerie jusqu’aux présidiaux et aux intendances, la bourgeoisie ne pouvait manquer de jouer un grand rôle dans la crise que l’introduction du protestantisme avait ouverte dans l’ordre moral et que la question successorale allait ouvrir dans l’ordre politique. Je crois, et M. Thierry me permettra de le dire, que l’auteur de l’Histoire du tiers-état n’a pas envisagé sous son jour véritable l’action si persévérante et si politique déployée par la bourgeoisie dans le drame qui s’ouvre sous les derniers Valois pour finir à l’avènement de la maison de Bourbon, Dans ces tristes temps, cette classe de la société, préservée de l’influence italienne, fut, après tout, la moins dépravée dans ses mœurs, la plus modérée dans ses actes, en même temps que la plus fermement attachée à des croyances religieuses identifiées avec les principes mêmes de la nationalité française. Moins féroce que le bas peuple, moins corrompu que la noblesse, le tiers-état réfréna presque partout, sauf à Paris, les implacables passions qui aspiraient alors à s’étancher dans le sang. Si la bourgeoisie municipale fut l’instigatrice et l’âme de la ligue par tout le royaume, cette audacieuse et patriotique association, la plus imposante et la plus durable qui se soit jamais formée dans ses rangs, n’était-elle pas justifiée par l’imminent péril que courait la foi nationale avant les engagemens pris par Henri de Navarre et l’acte solennel de Saint-Denis ? Qui peut nier, en se reportant aux idées de ce temps, que l’établissement d’une dynastie protestante à Paris n’équivalût à une victoire décisive de la réforme en France ? S’il est une vérité historique étincelante d’évidence, c’est que la ligue seule a sauvé le catholicisme, et, avec la religion de nos pères, l’originalité de notre génie, le dépôt sacré de nos traditions et de nos destinées à venir. Loin donc qu’il y ait à