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lui imposer des règles et des limites. La légitimité du but avait été compromise par la violence des moyens, et les essais malheureux du XVe siècle provoquèrent une alliance toute nouvelle entre la royauté et la noblesse. Marcel et les Jacques, Caboche et les écorcheurs avaient rapproché des forces jusqu’alors incompatibles. Servie par les terreurs publiques, devenue le seul symbole de la nationalité française contre l’étranger maître de la moitié du territoire, la royauté gagnait chaque jour du terrain, malgré les velléités des résistances bourgeoises si malheureuses et si malhabiles, résistances presque complètement concentrées d’ailleurs dans la capitale. M. Thierry a fort bien démêlé cette opposition entre les tendances politiques et quasi-révolutionnaires de la bourgeoisie parisienne et le génie inerte, pacifique et purement légiste du tiers-état dans le reste du royaume. Des deux classes qui le composaient en effet, la classe commerçante était exclusivement attachée aux franchises municipales, à l’existence privilégiée des communes, et elle aspirait à étendre son importance et sa richesse beaucoup plus qu’à s’engager dans la vie publique dont elle n’avait ni le goût ni l’intelligence. La seconde classe, celle des officiers royaux de justice et de finance, sortie presque tout entière de la roture, ne connaissait qu’une science, la jurisprudence romaine, n’admettait qu’un droit, celui de l’état, et qu’un représentant de l’état, le roi. Chez les hommes appartenant à ces deux catégories, chaque jour plus nombreuses et plus puissantes, le sentiment de l’égalité civile était vif, mais celui de la liberté politique était nid : ils tenaient beaucoup moins à participer au pouvoir qu’à grandir leur position personnelle, et la seule pensée générale qui les inspirât était rabaissement de toutes les puissances et de toutes les forces sous le niveau commun de la loi. Le pouvoir absolu de la royauté était donc la conséquence nécessaire des dispositions natives de la bourgeoisie.

Si celles-ci ne rencontrèrent pas dans la personne du roi Louis XI leur expression la plus vraie, il faut du moins voir dans ce prince l’instrument prédestiné à faire passer dans les faits les idées, les désirs et les antipathies de la bourgeoisie française. D’une part, il abaissa tellement les têtes, qu’il dépassa par sa sévérité jusqu’aux plus cruelles exigences de l’envie ; de l’autre, il abaissa tellement les caractères, qu’aucune parole généreuse ne put sortir de la conscience publique, lorsque sa main de plomb eut cessé de peser sur elle. Aux états-généraux de 1484, le tiers-état resta fort en arrière des idées qu’il avait exprimées à ceux de 1413. Bien qu’on y votât par tête, mode qui assurait aux députés des villes un avantage considérable, on ne vit ceux-ci reprendre aucun des hardis projets de réforme issus, au commencement du siècle, du concert de l’échevinage parisien avec l’université. La forte discipline de Louis XI avait, enlevé aux esprits l’audace et jusqu’à la tentation des projets novateurs. Si