Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/545

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle-là est la seule qui lui ait pleinement réussi et où elle soit demeurée jusqu’au bout maîtresse de son terrain et de sa victoire.

Les franchises locales une fois conquises et le droit municipal fondé, la seule pensée politique qu’il soit possible de signaler au sein des classes bourgeoises durant la seconde moitié du moyen âge, c’est un dévouement sans bornes à l’autorité monarchique. Ce sentiment provenait pour elles d’une double source : il leur était inspiré par le souci de leurs propres intérêts, puisque la royauté féodale ne pouvait échanger son pouvoir nominal contre un pouvoir effectif qu’en élevant de plus en plus la condition des hommes nouveaux placés comme elle dans un état d’antagonisme contre la caste militaire et l’aristocratie territoriale. Le tiers-état le puisait aussi dans les traditions impériales, ranimées par l’étude du droit romain, que toute l’Europe empruntait alors à l’Italie. Par une des plus étranges singularités de l’histoire, il arriva que les descendans affranchis des serfs consacrèrent leur sang et leurs efforts les plus persévérans à transformer les héritiers du premier chef couronné par la féodalité en successeurs des empereurs aux mains desquels le peuple-roi avait abdiqué sa toute-puissance. Saint Louis empruntait au Digeste et à la bible, commentés par les prélats et par les légistes, l’idée de son autorité souveraine. Des bourgeois remplissaient ses conseils, siégeaient dans ses cours de justice désertées par ses barons, et poursuivaient avec acharnement l’extension de la puissance royale en invoquant en faveur du petit-fils de Hubert le Fort les souvenirs confondus des Césars et des rois hébreux.

La monarchie féodale ; avait formé les grandes assemblées de la nation selon l’esprit des coutumes germaines ; ces assemblées s’étaient recrutées des seuls représentans des possesseurs du sol et des chefs de l’église, parce que la féodalité et le clergé avaient seuls exprimé pendant longtemps la totalité des intérêts sociaux. Sitôt qu’il exista en dehors de la hiérarchie ecclésiastique et militaire des hommes libres et propriétaires, encore que dans une condition subordonnée, ceux-ci se trouvèrent tout naturellement appelés à profiter du principe féodal, qui reconnaissait à tous les membres de la société le droit de voter les subsides et de participer à l’autorité publique. La bourgeoisie bénéficia de ce droit sans même le revendiquer : à l’origine en effet, l’usage en importait bien plus à la royauté qu’à elle-même, car, confinée dans ses intérêts locaux et placée sous le régime des franchises municipales, qui suffisaient pour sauvegarder ceux-ci, la bourgeoisie n’était pas sensiblement affectée par les questions de politique générale ou de législation. Aussi le droit de siéger dans les assemblées nationales parait-il n’avoir été pendant longtemps de sa part l’objet d’aucune insistance, la matière d’aucune réclamation, et, comme le fait observer M. Thierry, cette participation