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municipale. Les traditions romaines furent recueillies et appliquées là où elles n’avaient pas entièrement péri, et ce fut conformément à celles-ci que l’église reçut le dépôt des actes qui, sous l’administration impériale, s’inscrivaient sur les registres de la cité. Le christianisme fut le centre commun qui attira tant de forces résistantes. Au Xe siècle, la transformation de l’antique esclavage en servage de la glèbe était consommé sur tous les points. On cessa d’appartenir à l’homme pour appartenir à la terre.

Vers la même époque se dessinait une nationalité nouvelle dans laquelle les distinctions primitives des races tendaient de plus en plus à disparaître, d’abord entre les tribus conquérantes successivement établies dans les Gaules, puis entre ces tribus elles-mêmes et le reste des populations indigènes. À ces divisions originaires se trouva substituée celle que le temps et les événemens avaient tracée. On eut d’un côté tous les possesseurs du sol, formant pour le défendre une puissante fédération militaire, de l’autre les habitans de toute origine qui garnissaient et cultivaient la terre, population sans énergie et sans nul moyen de défense, forcément soumise aux seigneurs comme les castes agricoles l’ont été sous toutes les civilisations aux castes guerrières. La première pensée comme le premier intérêt de cette confédération baroniale fut de se conférer à elle-même un caractère héréditaire et de l’imprimer à la terre, qui était le signe et le gage de sa puissance ; mais ce passage de l’état viager à l’état féodal ne servit pas seulement les intérêts des possesseurs du sol et de la caste militaire : cette révolution eut aussi une influence heureuse sur la condition des serfs. Participant à la fixité que prenaient les institutions et les personnes, ceux-ci cessèrent d’être transportés comme un bétail d’un domaine sur un autre ; ils durent vivre et mourir sur celui qui les avait vus naître, à la possession duquel ils se trouvaient indirectement participer, et la famille agricole se constitua fortement par la permanence de la résidence et du servage, et par l’effet même des restrictions qui enchaînaient ou limitaient la liberté des personnes en attachant celles-ci au sol natal.

Pendant que la société rurale s’asseyait sur la propriété comme sur le roc, les villes grandissaient par l’effet même des désastres qui les frappaient quelquefois et dont elles étaient incessamment menacées. Pour les protéger ici contre les hommes du Nord que l’Océan vomissait sur toutes les grèves, là contre les brigands descendant comme des vautours de leur aire suspendue au haut des rochers, on ceignait ces villes de fortes murailles, on les couronnait de bastions. Les évêques dans les cités où ils avaient la juridiction territoriale, les agens royaux dans celles du domaine, réunissaient des approvisionnemens et des armes ; ils y appelaient les populations circonvoisines et s’efforçaient de les y fixer au prix de concessions précieuses, afin de