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reste d’ébranlement et à la nécessité de modifier la culture. D’ailleurs on exploite contre les propriétaires les souffrances réelles du passé. Deux des usages les plus pernicieux de l’Irlande étaient la location des terres à des prix exorbitans, et par contre l’habitude de ne pas payer le prix total du fermage. Cela conduisait à la ruine des tenanciers dans le temps où la terre était recherchée. Depuis que le fermier est devenu rare, la question a changé de face, et c’est lui qui abuse à son tour de la position des propriétaires.

Il y a un an, les cabines encore peuplées n’avaient pas l’air plus habitable que celles qui étaient abandonnées. Les murs en terre étaient lézardés, gluans et verdâtres. Le chaume pourri de la toiture pendait dans l’intérieur. On aurait dit que les habitans se considéraient comme des occupans passagers ; peu leur importait de se coucher sous des décombres humides, leur existence tout entière n’était-elle pas précaire et désolée ? Aujourd’hui ces chaumières ne sont certes pas des palais, leur aspect navrera le cœur du voyageur qui ne les a pas vues dans un état pire encore ; mais si l’on compare l’état des habitations irlandaises en 1853 a l’aspect qu’elles offraient au commencement de 1852, on aperçoit des traces de soins, et rien ne prouve plus le retour de l’espoir que le soin de soi-même et de sa pauvre demeure. La population parait aussi mieux nourrie, et le nombre des malheureux demandant à être enfermés dans les poor houses a diminué de moitié. On sent que la partie catholique de l’Irlande, qui possède le plus bel instrument de richesse, une terre généreuse, et où le pauvre est cependant si misérable, pourrait être dans peu d’années aussi prospère que le Yorkshire, si le capital y était aussi abondant. C’est le manque de capital, joint, à l’ignorance créée par la pauvreté, qui perpétue les procédés les plus désastreux ; c’est lui qui fait croupir le paysan dans la paresse, dans la misère et dans l’agitation politique. Même sur les points les plus riches faute de numéraire, on se paie par échange de denrées, par échange de services, par équivalens. On cultive l’orge et l’avoine à la bêche, et l’on fait produire des champs quarante années de suite sans jamais les fumer. Si le manque de capital a fait si cruellement sentir son influence dans des lieux où un sol riche appelle les soins de l’homme et le récompense du travail même inintelligent, que sera-ce des territoires naturellement pauvres ? Dans le Connaught, par exemple, on trouvera partout visibles les traces de la famine. J’ai entendu dire que là aussi, à certains égards du moins, grâce à de nouveaux acquéreurs qui avaient apporté des capitaux, grâce surtout à l’émigration, la situation était mieux assise qu’avant le fléau. Parler ainsi, c’est dire que les épidémies fortifient les populations, parce qu’elles tuent les faibles et ne laissent vivre que les robustes. À ce compte, les districts les plus pauvres de l’Irlande ont besoin, pour paraître tout à