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mois les yeux de l’Europe, voulut bien honorer notre corvette de sa visite. Nous la reçûmes avec les égards et le cérémonial qu’on n’accorde en Europe qu’aux têtes couronnées. Le canon gronda aussitôt qu’elle parut sur la plage ; lorsqu’elle posa le pied sur le pont de la Bayonnaise, la musique l’accueillit par les airs qu’elle aimait. Elle occupa, pendant le dîner qui lui fut offert, un fauteuil élevé sur une large estrade. Admis à bord de la corvette, les Taïtiens purent contempler leur reine dominant ses botes étrangers de toute la hauteur de ce trône. Pomaré fut sensible à tant d’attentions. Son visage basané se dérida pour nous. Elle resta longtemps à bord de la corvette et voulut, avant de partir, poser sa couronne de fleurs sur un front qui s’inclina gaiement pour subir ce modeste diadème. — Le volage époux de Pomaré, Arii-Faite, ne sut exprimer ses sensations que par un appétit digne de Gargantua ; mais parmi les princesses qui avaient suivi leur grave souveraine, nous trouvâmes de plus agréables convives. La jeune Aïmata[1], compagne destinée par la reine à l’héritier du trône ; Arii-Taïmai[2], majestueuse beauté d’un âge déjà plus mûr, se montrèrent naïvement heureuses de la fête à laquelle on les avait conviées. Lorsqu’au milieu d’une pluie de feu tombant du haut des vergues elles descendirent dans le canot qui les attendait le long du bord, elles semblaient regretter la discrète prévoyance qui abrégeait pour elles les plaisirs de cette longue soirée.

J’aurais mauvaise grâce à protester contre l’enthousiasme que les femmes de Taïti ont inspiré à tant de voyageurs. Leur gaieté sans malice et leur sourire candide sont pourtant, selon moi, leur plus grand attrait. Après avoir parcouru près de la moitié du monde, je me trouvais encore de l’avis des aimables princesses qui venaient de nous quitter et dont j’admirais intérieurement le bon goût : ce ne sont, me disais-je avec elles, ni les Chinoises, ni les Malaises, ni les Polynésiennes, ce sont les femmes françaises qui sont jolies, vahiné farani ménéné ; mais quelle que puisse, être mon opinion sur la beauté des femmes de l’Océanie, je ne m’en intéresse pas moins à l’avenir d’une race qui sait allier les plus nobles aux plus doux instincts. Dans la plupart de ces archipels semés au milieu de la Mer du Sud, vous trouverez un peuple brave sans férocité, aussi prompt à pardonner les offenses qu’à les ressentir, amoureux des longs discours et des chants mélodieux, fait pour les hasards de la guerre comme pour les loisirs de la paix, ennemi de toute contrainte et plus capable peut-être de vertu que d’hypocrisie. Si ce n’est point à nous que l’avenir réserve la tutèle de ces populations, puisse du moins le ciel leur

  1. Aïmata, en taïtien, qui mange les yeux.
  2. Arii-Taïmai, la princesse qui pleure.