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il assuma la responsabilité de tous les articles, et il demanda à faire la preuve des faits articulés. Le président se refusa à laisser faire cette preuve, parce qu’elle ne pouvait qu’aggraver la diffamation. Il prétendit même, selon la jurisprudence qui prévalait alors en Angleterre, que le jury, juge du fait, devait se borner à constater si Zenger était ou non l’éditeur des articles incriminés, et laisser à la cour, juge du point de droit, l’appréciation du caractère diffamatoire de ces articles. André Hamilton soutint la thèse contraire. « Puisqu’on nous refuse de faire la preuve des faits, dit-il aux jurés, c’est votre conscience que nous invoquons en témoignage de nos assertions. Si vous croyez que nous avons dit vrai, souvenez-vous que vous avez le droit d’apprécier aussi bien que de constater les faits, et que c’est peut-être votre devoir d’user de ce droit. » Il termina par ces paroles : « La question qui se débat devant vous n’est pas seulement la cause d’un pauvre imprimeur, ni même celle de la colonie de New-York seule ; c’est la meilleure des causes, la cause de la liberté. Tout homme qui préfère l’indépendance à une vie d’esclavage bénira et honorera en vous les hommes dont l’impartial verdict, comme un fondement inébranlable, aura assuré à nous, à notre postérité, à nos voisins ce droit que nous donnent et la nature et la dignité de notre pays, la liberté de combattre l’arbitraire en disant, en écrivant la vérité. » Le jury presque sans délibérer acquitta Zenger, et son verdict fut accueilli dans la salle par trois salves d’applaudissemens : Zenger fut mis en liberté le lendemain, après huit mois de détention préventive. Le conseil municipal de New-York vota des remerciemens à Hamilton, et lui conféra le droit de bourgeoisie « pour son habile et généreuse défense des droits de l’homme et de la liberté de la presse. » Le diplôme de bourgeoisie fut présenté à Hamilton dans une boite d’or du poids de cinq onces et demie ; sur le couvercle étaient gravées les armes de la ville avec cette inscription : Demersae leges, timefacta libertas tandem emergunt. On lisait à l’intérieur : Non nummis, virtute paratur, et autour de la boite ce mot de Cicéron : Ita cuique eveniat ut de republica meruit. Telle fut l’impression produite par ce procès, que, cinquante ans plus tard, Gouverneur Morris ne craignait pas d’appeler l’acquittement de Zenger « l’aube de la révolution américaine. »

Pierre Zenger mourut dans l’été de 1746, la publication de son journal fut continuée après lui par sa veuve et ensuite par son fils John Zenger. La qualité d’organe de l’opposition semble du reste avoir valu au Journal de New-York plus de popularité que d’argent, car, en tête du numéro du 25 février 1751, on lit l’avis au public qui suit :

« MM. les abonnés de la campagne sont instamment priés d’envoyer l’arriéré de ce qu’ils doivent ; s’ils ne s’acquittent promptement, je suspendrai l’envoi du journal, et je verrai à faire rentrer mon argent autrement. Quelques-uns de ces abonnés commodes sont en arrière de plus de sept années. Après les avoir servis tant d’années, je crois qu’il est temps et grand temps qu’ils me remboursent mes avances, car la vérité est, ils peuvent m’en croire, que j’ai usé mes habits jusqu’à la corde.

« N. B. Messieurs, si vous n’avez pas d’argent comptant par devers vous, pensez pourtant à votre imprimeur ; quand vous aurez lu cet avis et que vous y aurez réfléchi, vous ne pouvez faire moins que de dire : « Allons, ma