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les riches propriétaires d’origine, hollandaise, et la répulsion instinctive ressentie par cette partie de la population pour tout ce qui venait d’Angleterre. New-York, que la métropole avait dotée de franchises, qu’elle avait embellie de constructions dispendieuses, qu’elle avait comblée de faveurs de toutes sortes, New-York, résidence d’un gouverneur habituellement pris dans la haute aristocratie et d’un nombreux personnel de fonctionnaires, New-York, garnison préférée des fils de famille, qui y menaient grand train, était toute dévouée à la couronne ; Albany était dans des sentimens tout contraires, et le fonds de la population dans les campagnes appartenait tout entier à l’opposition. La lutte atteignit son apogée sous le gouvernement de William Cosby, de 1732 à 1736. William Bradford, père d’André Bradford de Philadelphie, avait fondé, en 1725, un journal hebdomadaire, la Gazette de New-York. Ce journal était dans les intérêts du gouverneur, ou, comme on disait déjà, de la cour. Le chef de l’opposition, Rip Van Dam, dont le nom trahit assez l’origine hollandaise, encouragea un imprimeur de ses compatriotes, John Peler Zenger, à entrer à son tour dans la carrière. Le New-York weekly Journal (Journal hebdomadaire de New-York) parut en 1733, et prit une attitude très-hostile vis-à-vis du gouverneur et de son conseil. Outre le Journal, on publiait de temps en temps des ballades où on tournait en ridicule les partisans de William Cosby dans la législature. Le gouverneur et le conseil prirent fort mal ces attaques, et, par un arrêté motivé, déclarèrent que les n° 7, 17, 48 et 49 du journal de Zenger et deux des ballades publiées par le même imprimeur étaient attentatoires à la dignité du gouvernement de sa majesté, contenaient des outrages contre la législature et les personnes les plus distinguées de la colonie, et tendaient à provoquer à la sédition et au trouble. En conséquence, journaux et ballades furent condamnés à être brûlés par la main du bourreau. À l’ouverture de la session législative, en octobre 1734, l’assemblée fut invitée à voter une récompense pour arriver à découvrir les auteurs de ces libelles séditieux ; mais les membres de l’opposition, qui goûtaient fort les articles du Journal, et qui passaient même pour les écrire, étaient en majorité dans l’assemblée, et on vota l’ordre du jour sur cette proposition. Alors le gouverneur et le conseil firent intenter directement des poursuites par le procureur-général ; Zenger fut arrêté et traduit devant la justice comme coupable de diffamation et de calomnie.

Ce procès mit toute la colonie en émoi. Les avocats de Zenger, Alexander et Smith, commencèrent par attaquer la compétence du tribunal. Au lieu d’avoir été nommés par la couronne et à vie, les juges avaient été nommés par le gouverneur Cosby seul, sans le concours du conseil, et par commission temporaire indéfiniment révocable. Les avocats prétendirent que les membres de la cour ne siégeaient pas en vertu d’une investiture légale, et n’offraient à l’accusé aucune garantie d’impartialité. La cour frappa de suspension les deux avocats, comme coupables d’offense envers elle. Zenger constitua deux nouveaux avocats, John Chambers de New-York, et le doyen du barreau de Philadelphie, André Hamilton, qui fit le voyage tout expié pour plaider cette cause. Une foule considérable accourue pour assister aux débats. Zenger se reconnut l’imprimeur et l’éditeur des journaux incriminés,