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fut proclamé dans les îles de la Société le protectorat de la France, l’influence des missionnaires protestans avait donc porté tous les fruits qu’on devait en attendre, et notre domination, admirablement assortie au caractère aimable, à la gaieté naïve de ces bons insulaires, pouvait avoir aussi sa mission providentielle.

Il ne faut point s’étonner cependant que cette substitution n’ait pu avoir lieu sans des luttes sanglantes et de tristes orages. La présence des Français à Taïti ne blessait point seulement les préjugés religieux des indigènes, elle alarmait aussi la vénération que les Polynésiens ont vouée de tout temps à leurs chefs. Il fallut donc combattre et conquérir pour notre drapeau le droit de cité dans l’Océanie. Si nous eûmes, durant cette période regrettable, des ennemis secrets et d’autant plus dangereux qu’ils agissaient dans l’ombre, nous eûmes aussi des alliés pleins d’ardeur qui nous apprirent à mieux apprécier les qualités d’un peuple spirituel et brave qu’on était parvenu à fanatiser contre nous. À Mahahena, sur les hauteurs de Hapapé et dans la vallée de Papenoo, nous vîmes des Taïtiens figurer dans nos rangs. Le premier qui gravit le pic de Fataoua fut un chef indigène. Une sorte de fusion s’établit entre les deux races sur le champ de bataille. La terre de Taïti nous devint plus chère par le sang que nous y avions versé et par les glorieux souvenirs qui peuplent encore chacun de ses vallons. Ce qui, dans la pensée de nos ennemis, devait ébranler notre complète lui apporta au contraire une consécration nouvelle. Les Indiens éprouvèrent le pouvoir de nos armes et se montrèrent touchés de notre clémence. L’intrépide gouverneur qui avait commencé la guerre eut l’honneur de la finir. Quand l’Uranie, portant le pavillon du contre-amiral Bruat, fit voile pour l’Europe au mois de décembre 1846, la tranquillité d’une île si longtemps bouleversée par les séditions était assurée, et l’esprit impressionnable du peuple taïtien se chargeait de défendre de l’oubli la gloire de nos compatriotes.

Ce fut un véritable bonheur pour nous, qui errions depuis tant de mois d’un rivage à l’autre sans jamais rencontrer le drapeau de la France, de pouvoir nous reposer enfin à l’ombre des couleurs nationales. Je comprends la prédilection de nos officiers pour cette colonie lointaine. Sur aucun point du globe, on ne pourrait trouver un climat plus salubre, des sites plus enchanteurs, une population plus aimable et plus douce. La végétation même semble, à Taïti, vouloir modérer sa force pour ne point étouffer les plantes nourricières. Les Taïtiens sont encore dignes d’habiter ce paradis terrestre. Ce ne sont plus sans doute les beaux sauvages de Cook ; ce ne sont point heureusement les gentlemen des îles Sandwich. On peut, au point de vue de l’art, regretter leur poétique nudité, leur élégant tatouage, coquetterie