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manière successive dont s’opéra le renouvellement du cabinet, on supposa que Harley en aurait voulu garder quelques membres. On dit qu’il fit des efforts pour retenir Cowper et des offres à Walpole lui-même, en le menaçant s’il les refusait ; mais Walpole avait de bonne heure conseillé à ses amis une retraite en masse, pensant qu’une rupture moins tardive et plus éclatante aurait peut-être intimidé la reine et son conseiller. Celui-ci trouvait déjà que les choses allaient trop loin ; il répugnait aux changemens complets et aux systèmes exclusifs ; mais toute transaction était impossible, ni les whigs ni les tories n’en voulaient, et la reine tenait à se délivrer d’une junte oppressive. Au mois de septembre, elle réunit le conseil, et fit lire une proclamation portant dissolution du parlement et préparée par Simon Harcourt, qu’elle venait de nommer tout exprès attorney général. Le chancelier Cowper voulut prendre la parole ; elle lui imposa silence. Les jours suivans, elle annonça la formation d’un nouveau cabinet. Rochester en était le chef avec le titre de président du conseil, Harcourt avait le grand sceau, et Saint-John était secrétaire d’état. Le duc d’Ormond remplaçait le comte de Wharton dans le gouvernement de l’Irlande. Le renouvellement fut complet. Toutes les places passèrent aux tories. De tous ses anciens serviteurs, Anne ne garda que le duc et la duchesse de Somerset, pour laquelle elle avait un goût particulier. Lady Marlborough ne fut pas d’abord congédiée ; mais elle avait cessé d’être reçue par sa maîtresse. Une révolution ministérielle déterminée tout entière par un acte de bon plaisir est une chose rare dans les annales politiques de la Grande-Bretagne. On rencontrerait peu d’exemples analogues dans toute la durée du XVIIIe siècle. Il faut descendre jusqu’au règne du triste George III, jusqu’au ministère de lord Bute en 1762 ou au renvoi de M. Fox en 1784, pour retrouver un de ces capricieux coups de tête de la prérogative royale.


CHARLES DE REMUSAT.