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était chaque année longtemps absent, et durant ses campagnes c’était sa femme seule qui le représentait, avec plus de dévouement que d’habileté. On trouvait d’ailleurs qu’il ne pensait qu’à lui et faisait du parti whig le marchepied de sa puissance. Lady Marlborough, en revanche, se disait mécontente de la froideur de Somers, de l’ambition de Halifax, de l’ingratitude de Sunderland. Par son caractère, elle était incapable de diriger son parti ; par sa position, elle l’était devenue de le servir. Ses rapports avec la reine avaient changé de nature depuis la promotion de lord Sunderland au poste de secrétaire d’état. La duchesse avait abusé de son pouvoir pour arracher cette nomination que son mari absent ne désirait pas. Anne, avant d’être reine, avait, dans sa facile générosité pour ses favorites, donné de ses deniers une dot de dix mille livres sterling à lady Anne Churchill pour épouser Sunderland, ce qui n’avait pas empêché celui-ci de s’opposer vivement, dans la chambre haute, à l’établissement par la loi de la dotation de la princesse de Danemark. La reine d’Angleterre n’oubliait pas les injures de la princesse de Danemark, et elle n’avait pu pardonner à lady Marlborough de les oublier pour elle. Pendant quelque temps, une vieille familiarité donna aux relations de ces deux femmes un caractère d’odieuse fausseté. Aux jours de leur intimité et de leurs communes disgrâces, elles s’étaient, pour s’affranchir de la gêne de l’étiquette, donné par convention mutuelle des noms bourgeois dont elles continuaient d’user dans leurs entretiens et leurs correspondances ; les curieux mémoires de lady Marlborough sont remplis de lettres aigres-douces où mistress Freeman rappelle ses vingt-cinq ans de dévouement et de services à mistress Morley, qui supplie sa chère Freeman d’épargner ses plaintes à sa pauvre, à son infortunée Morley. Cette lecture est fort piquante : mais survient une lettre où la Freeman dit à la Morley : Votre Majesté, et l’on sent alors que l’orage est près d’éclater.

Dès le mois de mars 1708, la duchesse écrivit à la reine qu’elle jugeait convenable de se retirer à la campagne, et, lui rappelant une certaine promesse de donner à ses deux filles ses divers emplois, elle lui offrit d’en faire l’abandon. La reine ne répondit point, et les deux amies ne se virent plus qu’aux jours de cérémonie. Une fois seulement (avril 1710), la duchesse demanda une audience qui devint une, scène de rupture et précipita les événemens.

Le ministère avait fait une faute. Au commencement de la session de 1709, au moment où le duc de Marlborough, félicité de nouveau par les deux chambres, semblait encore tout-puissant, une motion fut dirigée dans celle des communes contre le docteur Henri Sacheverell. C’était un déclamateur chagrin, turbulent et de mauvais goût, au dire de Saint-John lui-même, et qui, dans un sermon prononcé