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connaissait point le sens de cette levée de boucliers ; le gouvernement même affectait de traiter les insurgés comme des pirates du Fo-kien qui s’étaient retirés dans les montagnes. Bientôt le but et les moyens de l’insurrection se sont révélés. Le but, ce n’était rien moins que de renverser la domination des conquérans, la dynastie des Mantchoux, pour la remplacer par la vieille dynastie des Mings ; le moyen principal, c’était de faire appel au sentiment national chinois. C’est ainsi que l’insurrection partant du Kouang-si est allée en s’étendant depuis 1850, et a rayonné dans les provinces de Kouang-toung, de Hou-nan, de Hou-pé, pour arriver en ce moment jusqu’à Nankin, où elle est entrée victorieuse. Il s’est trouvé là d’ailleurs bien à propos un descendant vrai ou supposé de la vieille famille des Mings, du nom de Tien-te, lumière céleste. Tien-te a vingt-trois ans à peine : c’est un adolescent, mais dont tous les actes décèlent une habileté singulière, une force rare de volonté et une surprenante précocité d’intelligence. Tien-te est le chef suprême de l’insurrection ; il est salué empereur par tous les siens, et a une armée de cent mille hommes sous ses ordres. Tous ces insurgés affectent de remettre en honneur les vieux usages, les anciens vêtemens chinois, et de détruire tous les signes distinctifs qui rappellent la domination des Mantchoux. Dans sa portée politique, la révolution chinoise tend à un fractionnement de l’empire. Sous l’autorité suprême de l’empereur Tien-te régneraient des rois feudataires qui sont déjà les chefs des divers corps de l’armée insurgée. Le plus considérable de ces chefs qui conquièrent leur royauté est Houng-sieou-tsiuen, qui porte le titre de Taï-ping-wang, roi grand pacificateur. Mais il est un côté de l’insurrection plus difficile à pénétrer, c’est le côté religieux. Quelle est la croyance religieuse des insurgés ? Ce qu’il y a de plus clair jusqu’ici, c’est qu’ils procèdent, le fer et la flamme à la main, par la destruction des temples boudhiques, des monastères et des monumens. La tour de Nankin elle-même a semblé menacée malgré sa qualité de merveille du monde.

D’après quelques termes des proclamations insurrectionnelles, on a pu croire qu’un certain élément chrétien entrait dans l’insurrection chinoise ; on a supposé d’abord que des missionnaires catholiques n’y étaient point étrangers. Il ne parait pas qu’il en soit rien cependant. L’influence qui a pu se glisser est plutôt l’influence protestante, communiquée par les sociétés secrètes très nombreuses en Chine. L’une de ces sociétés, l’Union chinoise, a été créée par un Allemand du nom de Gutzlaff, qui avait été un émissaire des sociétés bibliques et avait acquis une grande influence en Chine. Un des principaux conseillers de Tien-te passe pour être un disciple de Gutzlaff. À cette formidable insurrection, qu’a eu cependant à opposer le gouvernement chinois ? L’empereur a envoyé généraux sur généraux qui allaient successivement se faire battre ; il multiplie les bulletins où il annonce la défaite des rebelles ; il invoque les dieux, et n’en est pas plus avancé. Seulement de temps à autre il destitue ou fait exécuter ceux de ses généraux qui sont battus. Une des plus malheureuses et des plus amusantes de ces victimes dont MM. Yvan et Callory racontent les tribulations est ce pauvre Siu, gouverneur du Kouang-toung. Siu, qui se serait bien passé d’aller châtier les rebelles, ne crut mieux faire, pour être agréable à son maître, que de lui envoyer dans une cage de fer un prisonnier qu’il dit être le faux empereur Tien-te. En effet, le prisonnier de Siu fit les aveux les plus complets, qui furent insérés au journal officiel de