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L’intelligence n’a pas trop de puiser à toutes les sources qui peuvent lui être offertes depuis l’étude des plus étranges et des plus curieux phénomènes de la civilisation jusqu’à l’observation des mœurs, de toutes les nuances sociales, depuis la connaissance de l’univers extérieur jusqu’à l’analyse attentive du monde intérieur, depuis l’étude des faits et de l’histoire jusqu’à la recherche philosophique de tous les problèmes de l’homme et de la destinée humaine. C’est ainsi qu’elle se nourrit, s’entretient, se développe, se multiplie, et forme ce qu’on nomme le mouvement intellectuel d’un temps, — mouvement qui a lui-même d’ailleurs ses périodes, ses phases, ses heures d’éclat ou de ralentissement. Pour ceux qui vivent de cette vie intellectuelle cependant, pour ceux-là surtout qui ont eu leur part d’influence acquise par la volonté et la puissance de leur esprit, il y a un moment presque solennel.- c’est celui où ils s’arrêtent, au milieu de toutes les révolutions contemporaines, pour considérer ce qu’ils ont fait, quel espace ils ont parcouru ; — c’est le moment où ils se replient sur eux-mêmes et s’interrogent pour savoir à quel point ils sont parvenus, et pour résumer une fois de plus leur pensée. M. Cousin donne cet exemple dans son livre récent : Du Vrai, du Beau et du Bien. Ce n’est point une œuvre nouvelle, c’est le résumé de ses leçons professées entre 1818 et 1821 ; mais à ceux qui demandent à M. Cousin une doctrine précisée et formulée en quelques pages, l’auteur répond par ce livre, où, sous cette triple invocation du vrai, du beau et du bien, sont rassemblés en effet tous les problèmes de la philosophie sur Dieu, sur l’âme humaine, sur la morale, sur le droit naturel, — et il se trouve même parfois que le professeur de 1818 n’a eu qu’à reproduire bien des démonstrations, bien des développemens, pour toucher à des questions dont plus d’une est restée actuelle. Qu’on relise par exemple le chapitre sur la morale, on retrouvera la revendication éloquente des plus justes et des plus fortes notions opposées aux morales frauduleuses ou incomplètes qui conduisent l’homme, ou à s’absorber dans les suggestions corruptrices de l’intérêt, ou à se méconnaître lui-même. Ce n’est point seulement en effet parce que la morale est un devoir, qu’une philosophie saine la relève à sa vraie hauteur ; c’est aussi parce que seule elle forme des hommes virils par le cœur et par l’esprit, capables d’arriver à la liberté et de se gouverner justement, sans aller se heurter en aveugles aux rudes corrections que les événemens infligent parfois. Aussi M. Cousin a-t-il le droit de rappeler ces leçons en les appuyant au grand dogme chrétien, et de se moquer quelque peu de cette foule d’esprits superficiels qui se croient de profonds penseurs, « parce qu’après Voltaire ils ont découvert des difficultés dans le christianisme. » M. Cousin n’en a que plus d’autorité pour parler encore une fois à la jeunesse en résumant toute la philosophie dans un mot : sursum corda ! Et quand il serait vrai que dans le cours d’une longue carrière philosophique M. Cousin eût émis parfois des opinions qui ne seraient point également admises par bien des esprits aux yeux desquels la philosophie n’explique pas tout, pas même tout ce qu’elle croit expliquer, il y a des momens qui se prêtent à ces polémiques intellectuelles, qui les rendent naturelles et utiles, comme aussi il y a des momens où elles ressemblent à quelque chose de beaucoup trop tardif ou beaucoup trop prématuré.

Ce n’est point sans raison à coup sûr que l’auteur du Vrai, du Beau et du Bien raille spirituellement ceux qui découvrent après Voltaire des difficultés