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larges troncs d’arbres les pirogues des chefs ; elle en perçait les bordages à l’aide d’os humains lentement aiguisés, et les cousait ensuite l’un à l’autre avec les fils tordus du cocotier ; elle tissait les mailles des grands filets de pêche, fabriquait les manteaux de plumes écarlates dont se paraient les rois dans les cérémonies religieuses, poursuivait au profit de ses maîtres le poisson sur les flots, l’oiseau des tropiques sur les montagnes, et fournissait les victimes humaines que l’on offrait aux dieux. L’arrivée des navires européens fut la source d’un nouveau labeur pour la population hawaiienne. Ce que les métaux précieux avaient été pour l’Amérique, le bois de sandal le fut pour les îles Sandwich. Ce funeste présent de la nature attira sur leurs rivages les trafiquans étrangers. Les boissons enivrantes, les étoffes de soie, le fer, les armes à feu, éveillèrent la cupidité des chefs, qui n’avaient pour payer ces trésors que le produit de leurs forêts. Dans l’espace de vingt ou trente ans, prés de six mille tonneaux de bois de sandal furent exportés des îles Sandwich par les navires anglais ou américains, et vendus aux Chinois de Canton. Ce ne fut bientôt que dans les gorges les plus reculées et les plus sauvages, sur les sommets les plus inaccessibles, que l’on put rencontrer ces troncs aromatiques. Non moins pénible que le travail des mines, cette âpre exploitation des forêts n’eût point tardé à creuser le tombeau d’un peuple habitué à subir son fardeau sans murmure, si, par un bonheur providentiel, l’incurie et l’imprévoyance d’une génération n’eussent si complètement moissonné ce champ fatal, qu’elles n’y laissèrent rien à glaner pour les générations futures.

Le bois de sandal n’était point un appât qui pût mettre en péril l’indépendance des îles Sandwich, mais il contribua puissamment à hâter l’unité d’une monarchie indigène. Il joua, dans les destinées de ce chétif empire, le rôle que le coton a joué plus tard en Égypte. Ce fut ce produit, payé presque au poids de l’or par les habitans du territoire céleste, qui mit aux mains d’un chef entreprenant les armes avec lesquelles il parvint à dompter ses ennemis. En 1792, quand le capitaine Vancouver, — quatorze ans après Cook, six ans après Lapérouse, — visita l’archipel des Sandwich, Kamehameha régnait sur trois des districts d’Hawaii. Ce prince, dans lequel, — singulier effet de la promiscuité polynésienne, — deux souverains voulaient reconnaître leur fils, avait déjà livré de sanglantes batailles aux chefs qui avaient entrepris de contester ses droits à ce premier héritage. Ses armes étaient alors la massue de bois de fer et la lance garnie d’une double rangée de dents de requin. Kamehameha demanda au capitaine anglais des mousquets et de la poudre. Vancouver sut résister à ses importunités : mais le fils naturel du roi de