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circonstances de couleur, d’illumination, de formes, arrondies ou abruptes, techniquement de galbe, perçues par les deux yeux, donnent le relief. Remarquons, comme une utile déduction des effets du stéréoscope, que puisque les peintures plates de cet instrument donnent de merveilleux reliefs, les physiciens, qui ne voulaient pas admettre que les images sans épaisseur qui se forment au fond de l’œil pussent donner la sensation du relief, ne sont plus fondés dans leur objection, puisque (on ne peut pas trop le répéter) des images parfaitement planes et sans épaisseur, celles du stéréoscope, donnent complètement la sensation du relief.

Cependant, dira-t-on, pour les grandes distances, pour les paysages alpestres, pour les beaux paysages des Vosges, pour les immenses panoramas des contrées observées du sommet des monts, comme la Limagne d’Auvergne vue du sommet du Puy-du-Dôme, — pour ces grandes étendues, nous jugeons très bien les distances diverses, et l’art reproduit admirablement les fuyans des chaînes et des cimes situées à perte de vue les unes derrière les autres par rapport au point central qu’occupe l’observateur.

La réponse, est simple. Il s’introduit là un nouvel élément : la perspective aérienne proprement dite, c’est-à-dire l’extinction de lumière que produit une grande masse d’air traversée par les rayons lumineux. Tout le monde a remarqué combien les montagnes éloignées sont bleues par l’interposition de l’air, et dans certaines circonstances de pluie cessante et près des bords de la mer, j’ai pu observer des fonds de paysages teintés de l’outremer le plus violet possible. Cet effet de perspective aérienne1, d’extinction de lumière, ne commence pas avant la distance de deux cents mètres, suivant les observations précises de M. Arago, quand l’air est serein. Par des temps de brouillard ou lorsqu’on s’élève dans les nuages, la perspective se clôt à de bien faibles distances. Alors, dit Homère, chacun ne voit pas plus loin que la distance où il peut lancer une pierre ; Dans certains nuages et dans certains brouillards de Paris et de Londres, cette distance est beaucoup moindre, et l’on voit à peine l’extrémité de la canne de quatre-vingts centimètres à un mètre de longueur que l’on tient à la main. Sans considérer les cas extrêmes, lorsque d’un lieu élevé de Paris, du sommet d’un monument, de l’arc de triomphe de l’Étoile par exemple, on observe vers la fin du jour les diverses collines qui s’étendent au couchant de la capitale, leurs divers plans et leurs diverses distances sont admirablement accusés par la perspective aérienne. Je dis ici perspective aérienne proprement dite, car, malgré les physiciens et leurs mesures de précision désespérantes pour les idées fausses, les artistes admettent la perspective aérienne et la dégradation des teintes pour des distances très petites. C’est un autre effet appelé du même nom. Si la science positive n’a rien à voir avec l’imagination qui crée les merveilles de la peinture, il n’en est pas moins vrai que l’art ne peut créer sans s’assujettir aux lois physiques de la nature. Si la nature n’est point l’art, il n’y a point d’art sans la nature.

Dans le thème, si souvent reproduit par les prédicateurs protestans, des merveilles de la création, l’œil et la vision ont été fréquemment l’objet de curieuses remarques ; mais déjà, mettant de côté les grandes distances et regardant un objet, une statue, un tableau, une miniature, un daguerréotype, que nous disent la théorie et l’expérience ? L’objet réel, la statue, sont vus avec toutes les ressources de l’organe. Si la statue est d’un excellent artiste, elle