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L’enivrait ; dans le port il revoit son bateau ;
Soudain, près des dôl-men, sous les murs du château
Il passe comme un cerf sans détourner la tête,
Et baigné de sueur à sa porte il s’arrête.

Le logis est désert ! Reprenant son bâton,
Ami fidèle et sûr qu’il ramène au canton,
Par le bourg il s’en va pour chercher ceux qu’il aime,
Sur la grève, à l’auberge… Ardeur chez tous la même !
La poitrine battante et les cheveux au vent,
Vers vous, objets aimés, que j’ai couru souvent !

Sous des arbres lointains, le son d’une musique
L’attire : c’est le bal où la noblesse antique
Et tous les étrangers s’assemblent ; il accourt :
S’il a les pieds légers, Gratien n’est point sourd,
Car, sous l’ombrage, au cri d’une voix bien connue
Il s’élance d’un bond : « Ma sœur ! » A sa venue,
Cette enfant, jusque-là courageuse, pâlit
Et, remerciant Dieu, sur l’herbe défaillit.
Le bâton du marin et le jonc du jeune homme
Que son habit nankin dans le pays renomme
Sonnèrent : l’étranger fut brave et de bon ton,
Mais un jonc est flexible et dur est un bâton.

Partout qu’ils sont pressés les noirs semeurs d’alarmes !
Les vieux parens d’Odette étaient chez eux en larmes.
Gratien, à son bras tenant sa jeune sœur,
Entra dans la maison, les yeux pleins de douceur :
« Mon père, la voici. » Puis, de ses deux mains fortes,
Maître dans sa chaumière, il en ferma les portes.
Et, montrant une fleur : « Qu’elle est fraîche ! Dit-il
Cette fleur a vécu dans l’air seul du courtil. »


A.. BRIZEUX.