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pas été plus noire, car nous eussions couru le risque d’aller nous briser sur cette terre inconnue. Nous en passâmes aussi près que la prudence pouvait nous le permettre, et quand nous eûmes constaté que ce n’était qu’un misérable écueil, nous refusâmes de lui donner le nom de notre corvette. Nous l’inscrivîmes sur la carte de l’Océan Pacifique avec cette désignation dédaigneuse : île vue par la Bayonnaise le 31 mai 1850, par 32° 0’ 41" de latitude nord et 137° 39’12" de longitude est.

Dès que nous eûmes doublé les côtes du Japon, nous trouvâmes de longs jours, un air frais et vivifiant, des brises qui nous faisaient faire des enjambées de quatre-vingts lieues d’un midi à l’autre. Nous eûmes soin de nous maintenir dans des parages si favorables, et nous ne redescendîmes vers le sud qu’après avoir dépassé le méridien des îles Sandwich, lui approchant du tropique du Cancer, les vents alisés enflèrent de nouveau nos voiles. Le 29 juin 1850, nous étions mouillés sur la rade extérieure d’Honoloulou.


III

J’ai souvent essayé de dégager, de toutes les controverses dont les peuples de l’Océan Pacifique sont devenus l’objet, un système qui pût rattacher leur existence à celle des deux grandes races orientales que sépare une ligne de démarcation bien tranchée. Si mon hypothèse pouvait être admise, la race noire et la race mongole auraient, par leur mélange, donné naissance aux populations de la Malaisie. Au sud de l’équateur, de la terre des Papous jusqu’aux Nouvelles-Hébrides, la première de ces races se présenterait encore dans toute sa pureté. Les peuples de la Polynésie proprement dite ne seraient au contraire que des colonies mongoles. Comment les fils de Sem se sont-ils répandus des îles Sandwich aux côtes de la Nouvelle-Zélande ? Comment ont-ils peuplé le groupe des Carolines et l’archipel des Pomotou, les îles Tonga et les îles Marquises ? C’est une question que je n’essaierai point de résoudre ; mais rien ne me semble plus propre à expliquer la conformité de mœurs, de langage et de caractères physiques des diverses tribus polynésiennes, que l’idée de deux races s’épanchant sur la surface des mers aussi loin que les vents peuvent les porter, s’arrêtant, — la première, avec la mousson d’ouest, au groupe des îles Viti, — la seconde, avec les tempêtes de l’hémisphère nord, aux côtes du continent américain ou aux rivages des îles Sandwich. Quand nous débarquâmes à Honoloulou, ma première impression confirma l’hypothèse qui m’avait séduit. Je crus me retrouver au milieu des Carolins de l’île Oualan.