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vôtre. Aussi enfant que les autres, mon neveu paraît avoir de l’inquiétude de remonter sur l’Amphitrite[1]. Vous sentez le peu d’égards que je dois à cette puérilité ; recommandez-le seulement de nouveau à M. de Conway et au chevalier de Bore. Ordonnez au capitaine de recevoir sur son bord M. le marquis de La Rouërie, qui nous est spécialement recommandé. Remettez au capitaine la règle générale et secrète de sa route, et de ce qu’il doit faire en suivant sa vraie destination. Si la force majeure des circonstances l’obligeait à relâcher à Saint-Domingue, convenez avec lui et M. de Conway de ne s’y point arrêter, mais d’écrire à M. le comte d’Émery[2], de la rade, pour le prévenir que l’inquiétude seule des mauvaises rencontres a fait diriger l’ordre fictif de la marche de l’Amphitrite sur Saint-Domingue, et prendre de lui un nouvel ordre fictif pour la France, afin de se mettre à l’abri par cet ordre, en cas de rencontre anglaise entre Saint-Domingue et la vraie destination du navire. Vous savez bien que toutes les précautions du ministère se prennent d’accord avec nous ; c’est là-dessus qu’on peut compter.

« Aussitôt après le départ de l’Amphitrite vous passerez par Nantes, où je crains pourtant que vous ne trouviez le Mercure parti, car il est prêt à mettre à la voile. Bonjour, mon cher Francy ; revenez bien vite à Paris. C’est assez trotter pour une fois : d’autre ouvrage vous attend ici ; mais j’en partagerai le travail. Rapportez-moi cette lettre. »


Malgré tous ces contre-temps, les trois premiers navires de Beaumarchais purent enfin partir ; ils échappèrent heureusement aux croiseurs anglais et arrivèrent, au commencement de la campagne de 1777, dans la rade de Portsmouth. En recevant pour la première fois d’Europe une telle cargaison de canons, de poudre, de fusils, d’habits et de souliers pour 25,000 hommes, le peuple américain battit des mains. De son côté, l’agent américain à Paris, Silas Deane, dès le 29 novembre 1776, écrivait au comité secret du congrès :


« Je ne serais jamais venu à bout de remplir ma mission sans les efforts infatigables, généreux et intelligens de M. de Beaumarchais, à qui les États-Unis sont plus redevables sous tous les rapports qu’à toute autre personne de ce côté de l’Océan. Il est grandement en avance pour des munitions, des effets d’habillement, d’équipement, et d’autres objets, et j’ai la ferme confiance que vous lui ferez passer le plus promptement possible des retours considérables. Il vous a écrit par M. Macrery, et il vous écrira de nouveau par ce navire. Je ne saurais, dans une lettre, rendre pleine justice à M. de. Beaumarchais pour son habileté et son zèle à soutenir notre cause. Tout ce que je puis dire, c’est que dans cette opération il s’est conduit d’après les prin-

  1. Ce neveu de Beaumarchais, nommé Des Épiniers, partait pour l’Amérique en qualité d’officier d’artillerie. La veille d’un combat, il écrivait à son oncle : « Votre neveu, mon très cher oncle, peut bien se faire tuer, mais il ne fera jamais rien d’indigne de quelqu’un qui a l’honneur de vous appartenir ; c’est aussi certain que la tendresse qu’il aura toujours pour le meilleur de tous les oncles. » Des Épiniers mourut, je crois, en Amérique, avec le grade de major.
  2. Le gouverneur de Saint-Domingue.