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j’ai depuis quelque temps conçu le projet d’aider les braves Américains à secouer le joug de l’Angleterre. J’ai déjà essayé différens moyens d’ouvrir une secrète et sûre correspondance entre le congrès général et une maison de commerce que je suis en train de former, et dont le but sera de fournir le continent, soit par la voie de nos îles, soit directement, si cela est possible, de tous les articles dont les Américains ont besoin, et qu’ils ne peuvent plus tirer de l’Angleterre. J’ai déjà parlé de mon plan à un gentleman à Londres qui se dit très attaché à l’Amérique[1] ; mais notre correspondance, depuis que j’ai quitté l’Angleterre, se poursuivant avec difficulté et en chiffres, je n’ai reçu aucune réponse à ma dernière lettre, dans laquelle je fixais quelques points de cette grande et importante affaire. Puisque vous êtes revêtu, monsieur, d’un caractère qui me permet d’avoir confiance en vous, je serai très satisfait de renouer d’une manière plus certaine et plus régulière une négociation qui n’a été jusqu’ici qu’effleurée. Mes moyens ne sont pas encore très considérables, mais ils s’accroîtront beaucoup, si nous pouvons établir ensemble un traité dont les conditions soient honorables et avantageuses, et dont l’exécution soit exacte. J’ai l’honneur d’être, monsieur, etc.

« Caron de Beaumarchais[2]. »


On le voit, dès les premières relations de Beaumarchais avec l’agent du congrès, il n’y a nulle ambiguïté sur la nature de l’affaire. Il ne s’agit pas d’un don que Beaumarchais serait chargé de transmettre, mais d’un traité commercial dont l’exécution soit exacte. Toutefois, comme l’opération était trop chanceuse pour qu’un vrai négociant, dans la situation des affaires d’Amérique, l’eût entreprise uniquement à ses risques et périls, et comme Beaumarchais n’était point négociant de profession, il n’était pas difficile à Silas Deane de soupçonner que l’homme qu’on lui indiquait et qui s’adressait à lui était plus ou moins soutenu par le ministère. Il devait donc, à moins d’une connivence coupable dont Arthur Lee l’a très injustement accusé, il devait, tout en acceptant Beaumarchais tel qu’on le lui présentait, c’est-à-dire comme un négociant agissant en son propre nom, tenir le ministère au courant des engagemens que ce négociant lui demandait de prendre. Aussi l’a-t-il fait, et c’est ce qui résulte de la lettre suivante, écrite par Silas Deane, en date du 19 juillet 1776, à l’homme de confiance de M. de Vergennes, M. Gérard, depuis Gérard de Rayneval, alors premier commis aux affaires étrangères. Cette lettre prouve que Silas Deane a communiqué à M. Gérard la première lettre de Beaumarchais qu’il n’a pas encore vu, et qu’il a demandé conseil sur ce qu’il devait faire. « Je n’ai pas encore

  1. On comprend que le gentleman dont il est question ici est Arthur Lee.
  2. Cette première lettre à Silas Deane, qui est importante pour tout ce qui va suivre, n’ayant pas été retrouvée par moi dans les papiers de Beaumarchais, j’ai été obligé de la traduire aussi exactement que possible sur la traduction anglaise, qui figure dans les documens fournis au congrès des États-Unis par Silas Deane.