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« Il méritait, dit-il, de la considération par ses talens naturels et acquis. Il était bon écrivain, et il défendit la cause de son pays avec ardeur et persévérance ; mais son caractère était inquiet et violent. Jaloux de ses rivaux, se défiant de tout le monde, il s’engageait lui-même et il engageait tous ceux qui se trouvaient en rapport avec lui dans une succession de disputes et de difficultés[1]. » Il faut ajouter à ce portrait qu’Arthur Lee était dévoré d’ambition et toujours disposé à se faire valoir aux dépens d’autrui. Sa correspondance avec le comité secret du congrès, à l’époque où il faisait partie de la députation américaine à Paris avec Silas Deane et Franklin, n’est qu’une série d’insinuations amères, et souvent des plus injurieuses, contre ses deux collègues. Il ne tint pas à lui que Franklin notamment ne passât pour un voleur, et qu’on ne crût en Amérique que c’était Arthur Lee qui seul avait décidé l’alliance entre les États-Unis et la France. — Son biographe, qui porte le même nom et qui sans doute est son parent, semble adopter cette dernière opinion avec une bonne foi très respectable, mais très mal renseignée sur ce point. Nous avons eu occasion d’étudier de près les travaux de la députation américaine à Paris, et nous pouvons affirmer qu’Arthur Lee n’y exerça aucune influence, qu’il n’avait aucun crédit sur le gouvernement français, et qu’il joua réellement auprès de lui le rôle de la mouche du coche. C’est ce qui explique parfaitement son irritation permanente contre ses deux collègues.

Tel était l’homme que Beaumarchais rencontra à Londres à la fin de 1775 chez Wilkes, et à qui il fit part de ses instances auprès du gouvernement français pour obtenir des secours secrets en faveur des Américains. Enchanté de trouver une occasion de se donner de l’importance, Arthur Lee écrit tout de suite au comité secret du congrès « qu’à la suite de ses actives démarches auprès de l’ambassadeur de France à Londres, M. de Vergennes a envoyé à lui, Arthur Lee, un agent secret pour l’informer que la cour de France ne peut songer à faire la guerre à l’Angleterre, mais qu’elle est prête à envoyer pour cinq millions d’armes et de munitions au Cap Français, pour les faire passer de là aux États-Unis. » Il n’y avait pas un mot de vrai dans cette nouvelle. M. de Vergennes n’avait envoyé nul agent à Arthur Lee pour lui faire des promesses de ce genre. Beaumarchais l’avait rencontré chez Wilkes, lui avait parlé de ses plans, de ses espérances, de ses instances auprès de M. de Vergennes. Arthur Lee, pour se grandir aux yeux du congrès, avait complètement dénaturé cette conversation, et la preuve que l’invention venait de lui et non de Beaumarchais, c’est qu’au même moment ce dernier sollicitait

  1. Life of Benj. Franklin, by Jared Sparks, p. 447.